lundi 8 décembre 2014

Entrevue HOLLANDE - POUTINE à Moscou !


La nouvelle est tombée samedi matin : le président français va rencontre Vladimir Poutine à Moscou ! Bien entendu, pas question de transformer Moscou en Canossa, donc on y va « en passant ». On s’arrêtera en revenant du Kazakhstan. Mais c’est quand-même un événement important, même si, officiellement on cherche tout de même à en minimiser la valeur symbolique.
Inutile sans doute de préciser que cet événement me ravit. La France est peut-être en train de chercher à renouer les fils du dialogue. Si ce pas en avant n’est pas suivi, comme souvent de deux pas en arrière, cela voudra dire que les dirigeants français ont enfin compris que notre pays ne peut exister que dans la mesure où il sera une voix indépendante. Il y a bien longtemps que ces dirigeants auraient du avoir un petit coup d’œil dans le rétroviseur et auraient du tenir compte des leçons de l’histoire.
La France n’est pas faite pour se dissoudre dans des coalitions quelles qu’elles soient. La France ne peut exister que dans un certain isolement intellectuel. Elle n’est pas faite, évidemment, pour dominer le monde, elle n’en a plus les moyens depuis bien longtemps. Elle doit seulement chercher à rester, en toutes circonstances, la voix de la raison. Pour cela elle doit protéger jalousement son indépendance.
Bon, revenons sur terre ! Cette visite à elle seule ne justifie pas, bien sûr, une telle envolée. De plus, le passé récent, nous a appris que ce genre d’initiatives était souvent suivi d’un mouvement inverse d’intensité équivalente ou supérieure. L’avenir proche nous dira si nous venons d’assister à la naissance d’une position nouvelle ou s’il s’agit seulement de la réaction d’un dominé qui n’a pas encore totalement accepté la domination qui lui est imposée.
En effet, quelle est la raison d’une telle initiative ? La situation a-t-elle évolué depuis deux semaines ? Les sanctions on-t-elles eu ces effets miraculeux que l’on nous promet depuis plus de six mois ? La position de la Russie à propos de l’Ukraine a-t-elle évolué ? Pour ce qui est de la dernière question, la réponse est non. La Russie ne veut pas d’une Ukraine dans l’Otan, elle ne veut pas non plus d’une Ukraine choisissant une appartenance exclusive à l’Union Européenne. Mais qui le veut, en vérité ? L’Allemagne et la France ont exprimé, il y a des mois, leur opposition à une entrée dans l’Otan. L’Europe n’a pas les moyens, notamment financiers, d’accueillir l’Ukraine, et elle le sait. Elle continue seulement avec un incroyable cynisme à laisser croire aux Ukrainiens qu’ils vont bientôt intégrer ce nouveau paradis sur terre. Jacques Sapir évoquait dans une analyse sur son blog ce matin une entrée éventuelle, « dans vingt ans ou plus ».
L’Europe persiste à jouer le jeu stérile et dangereux qui lui est imposé par son maître, un maître dont l’objectif principal est d’empêcher la naissance sur le continent européen d’une puissance susceptible de lui faire concurrence. Dans le même temps, on continue à « négocier » en toute discrétion l’accord transatlantique qui devrait parachever l’asservissement des pays européens. Un accord transatlantique dont les populations ne veulent pas et que mes confrères russes appellent maintenant « l’Otan économique ».
Mais ailleurs, il y a eu des changements. Et quels changements ! Tout d’abord, la diplomatie russe et son président, ne cachent plus le mépris que leur inspirent les comportements des pays européens. Cette nouvelle attitude a d’autant plus choqué que, jusque là, tout le monde s’étonnait de la « prudence » des réactions du président russe. Certains y voyaient une forme de crainte, d’autres, une sorte de renoncement, les premiers pour s’en réjouir (vous voyez, les sanctions ça marche), les autres pour le déplorer (Vladimir Poutine abandonne nos frères russes d’Ukraine). Ces deux analyses se sont révélées fausses et les deux derniers discours importants de Vladimir Poutine ont sonné pour veux qui rêvaient comme un réveil brutal.
A Sochi, tout d’abord, lors de la dernière réunion du Club de Valdaï (où j’ai d’ailleurs eu le plaisir de rencontre Ivan Blot, ancien député français). Le président russe a accusé les USA d’avoir un comportement de « nouveau riche » peu responsable et il a, au contraire,  appelé au dialogue. Pour lui, « ceux qui prônent les révolutions de couleur et autres « changements de régime », n’ont pas tiré les leçons d’un 20ème siècle révolutionnaire qui a fait couler le sang au nom du romantisme de la création d’un prétendu « homme nouveau ». Au nom de l’homme nouveau, fasciste, communiste ou cosmopolite au nom de droits de l’homme manipulés, on se donne la permission d’opprimer l’homme réel. »
Suis-je conservateur, s’est ensuite demandé le président russe ? Avant de répondre immédiatement : « oui je le suis ! Mais ce conservatisme n’est pas synonyme de repli sur soi, mais de respect des traditions, des religions traditionnelles et de l’héritage historique. »
Ce thème a été repris et développé dans le discours de Vladimir Poutine devant les parlementaires russes au début de ce mois : "Une famille saine et une nation saine, les valeurs traditionnelles que nous avons héritées de nos ancêtres, assorties de l'aspiration à l'avenir, la stabilité, comme condition du progrès, le respect des autres peuples et Etats en garantissant la sécurité de la Russie et en défendant ses intérêts légitimes, telles sont nos priorités".
On retrouve ensuite la présentation de la situation internationale vue de Moscou et des objectifs de la Russie. En résumé : vous pouvez vivre comme bon vous semble, mais ne rêvez pas de nous imposer vos vues où ce que vous appelez des « valeurs ». Nous sommes hors de votre portée. "Personne n'arrivera à obtenir une suprématie militaire sur la Russie. Nous avons une armée moderne, apte au combat, une armée "courtoise", comme on dit aujourd'hui, mais redoutable. Nous avons suffisamment de forces, de volonté et de courage pour défendre notre liberté".
La suite du discours est l’expression du peu d’estime que la diplomatie russe semble maintenant avoir pour les pays européens. Vladimir Poutine parle tout d’abord des Etats-Unis avec ironie : "Ce n'est pas par hasard que j'ai mentionné nos amis américains car ils influencent toujours d'une manière directe ou indirecte nos relations avec nos voisins, au point que parfois on ne sait pas à qui parler: aux gouvernements de certains pays ou directement à leur protecteurs américains".
Parallèlement à cette attitude de distance froide, la Russie n’est pas restée inactive. Elle est membre de la plupart des organisations internationales asiatiques et, en particulier, de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) qui regroupe déjà la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan[1]. Elle a renforcé ses liens économiques avec la Chine, de façon spectaculaire dans le domaine du gaz, mais également dans la coopération militaire. La Chine de son côté a modifié sa position officielle après le G20 de Brisbane où des diplomates chinois ont fait part de leur réprobation face à la façon dont le président russe a été traité par les principaux pays occidentaux.
Curieusement, et ce n’est, à mon avis, certainement pas un hasard, c’est après cette rencontre que M. Gui Congyou, directeur de la zone « Europe et Asie centrale » au ministère chinois des affaires étrangères a déclaré, repris par « Itar-Tass », mais, bien sûr, pas par le New York Times : «“We should take a very careful and well-considered attitude to tackling nationalities’ issues. We are against any nationality gaining independence through referendums. As far as Crimea is concerned, it has very special features. We know well the history of Crimea’s affiliation[2].” Ceci ressemble fort, pour moi, à une reconnaissance « à la chinoise » du rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie.
A quelques jours de là, Serguei Lavrov insistait sur le volet « technologies de pointe » que prenait également la coopération russo-chinoise. Un domaine dans lequel la Corée du Sud a également fait part de sa volonté de coopération après avoir rejeté les pressions visant à lui faire adopter les sanctions antirusses.
Cette semaine, Vladimir Poutine va effectuer une visite officielle en Inde. L’ambassadeur d’Inde en Russie donnait à cette occasion, comme il est de tradition, une interview aux médias russes. Il y déclarait, notamment : «  Il y a des possibilités très intéressantes de développer notre coopération économique vers un niveau correspondant aux complémentarités de nos deux pays dans ce domaine. (…) Ce sommet donnera à nos deux dirigeants la possibilité de coordonner leurs visions du développement de notre partenariat stratégique et privilégié, pour les années à venir. »
Parmi les possibilités de développement des liens bilatéraux, l’ambassadeur indien mentionnait la défense, l’énergie nucléaire, l’espace, le commerce et les investissements, les sciences et la technologie, la santé, l’éducation, les médias et la culture.
Rappelons que l’Inde fait partie des « états observateurs » de l’Organisation de Coopération de Shanghai, au même titre, d’ailleurs, que l’Afghanistan, l’Iran, la Mongolie et le Pakistan. L’année prochaine, la Russie prendra la présidence tournante de l’OCS et on attend l’entrée de l’Inde et du Pakistan comme membres de plein droit.
On ne parle pas, pour le moment, de l’entrée de l’Iran, mais Moscou est sur le point de signer avec Téhéran un accord de livraison de pétrole iranien contre des produits agricoles et manufacturés russes. Washington par la bouche de l’inénarrable Mme Psaki a d’ailleurs promis des sanctions supplémentaires contre la Russie si cela se produisait (« faire toujours la même chose, en espérant à chaque fois obtenir un résultat différent ! » on connaît cette définition qu’Albert Einstein donnait de la folie).
Enfin, dernier événement en date, la Russie renonce au projet de gazoduc « South Stream », projet combattu depuis des mois par l’Union Européenne, sur la base du fameux « troisième paquet énergétique » dont certains pensent qu’il a été mis en place spécialement pour contrer le projet russe et qui empêche un producteur de gaz d’être également le propriétaire du tube par lequel il livre ce gaz.
L’annonce a été faite, ce n’est pas un hasard à l’occasion de la visite de Vladimir Poutine en Turquie. Elle s’est accompagnée de l’annonce de la construction d’un autre gazoduc vers la Turquie cette fois avec prévision de livraison (l’accord définitif n’est pas encore signé) de 63 milliards de mètres cube, dont 14 milliards iront à la Turquie. Le reste ira vers une usine de liquéfaction située face à la Grèce et où les acheteurs pourront venir se servir.
Cette décision fait suite également à la prise de position de la Bulgarie qui a finalement cédé aux pressions américano-européennes et a refusé le passage de South Stream sur son territoire, renonçant par là à des droits de passage estimés à quelques quatre cent millions de dollars par an. Pour ceux qui connaissent l’histoire de la région, il est particulièrement significatif que cette décision ait été annoncée depuis la Turquie. En effet, la Russie et la Bulgarie sont des nations slaves, liées par la même culture orthodoxe et en 1877, la Russie a aidé la Bulgarie à s’émanciper du joug… ottoman.
Remarquons également que la Turquie fait partie des « états partenaires de discussion » de l’OCS, de même que la Biélorussie et le Sri Lanka.
Ainsi donc, alors que les médias occidentaux ne cessent de parler de l’isolement de la Russie et des conséquences néfastes des sanctions, une observation neutre de la situation fait apparaître tout le contraire. Il était temps que la diplomatie française en tienne compte, dans l’intérêt du pays. Après tout, s’il est parfaitement légitime que M. Obama pense en priorité aux intérêts des Etats-Unis, le président français a été élu, lui, pour défendre du mieux possible les intérêts de la France.
Espérons que M. Hollande ne soit pas pris maintenant du vertige de celui qui, dans un élan de courage inhabituel, a osé faire un pas en avant et qui a soudain l’impression de se trouver au dessus du vide, et que son prochain mouvement ne soit pas en direction de ces soi-disant « alliés » qui ne se veulent que des « maîtres ».
Car, et on se demande si les deux évènements sont liés, Mme. Merkel a pris hier une position particulièrement agressive vis à vis de la Russie. Dans une interview à l’hebdomadaire allemand « Welt am Sonntag », elle affirme que Moscou « n'hésite pas à bafouer l'intégrité territoriale des pays voisins » et ajoute même qu’elle serait prête à participer à un conflit armé avec la Russie expliquant : « qu'en cas de conflit armé entre la Russie, d'un côté, et l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie de l'autre, l'Otan accorderait aux pays baltes une assistance militaire, comme prévu par les engagements dans le cadre de l'Alliance. » Se rend-elle compte de ce que de tels propos ont de dangereux dans la bouche d’une personne ayant ses responsabilités ?
Je ne parviens pas encore à m’expliquer le retournement de position de Mme. Merkel vis à vis de la Russie, mais je partage tout à fait le sentiment de Philippe Grasset qui écrivait récemment : « Aucun élément nouveau décisif, dans les trois ou quatre derniers mois, ne paraît devoir justifier le revirement de Merkel exprimé dans des termes si dramatiques et alarmistes, et encore moins l’expliquer. » D’où la tentation d’expliquer ce revirement violemment antirusse par d’autres moyens et, pourquoi pas comme le fait ce même Philippe Grasset, par : «  la thèse évoquée épisodiquement ici et là selon laquelle les USA disposent d’un moyen de pression personnel et direct sur la chancelière et qui est de moins en moins jugée comme aléatoire ou farfelue. Ce moyen de pression peut aller aussi bien de documents récupérés de l’ex-RDA, par exemple des archives de la Stasi, que de certaines affirmations et confidences de la chancelière interceptées par la NSA. »
Quoi qu’il en soit, une fois n’est pas coutume, je suis ravi de l’initiative prise par le président français, parce que c’est une initiative qui va à la fois dans le sens d’un honneur retrouvé de notre pays, et dans le sens du dialogue, si nécessaire dans un environnement ou, par faiblesse, les Etats-Unis et leurs vassaux privilégient la voie de la violence et refusent celle du dialogue.


[1] Elle a été créée à Shanghai les 14 et 15 juin 2001 par les présidents de ces six pays.
[2] « Nous devrions adopter une attitude prudente et réfléchie en ce qui concerne les questions de nationalités. Nous sommes opposés à l’accession à l’indépendance par réferrendum de quelque nationalité que ce soit. Mais en ce qui concerne la Crimée, il s’agit d’une situation très spéciale. Nous sommes tout à fait au courant de l’histoire des affiliations de la Crimée. »

vendredi 28 novembre 2014

Les Américains pour la démocratie en Russie...


… mais pas chez eux !
Si vous ne vivez pas complètement reclus, sans télévision, sans internet, sans téléphone, sans journaux et sans sortir de chez vous, vous avez entendu parler des "Pussy Riot". C’est un groupe de jeunes filles condamnées, pour deux d’entre elles, à un an de prison en Russie pour avoir organisé un spectacle impromptu dans la cathédrale de Moscou. Spectacle sur lequel elles ont ensuite monté, avant de le diffuser sur internet, des paroles de chanson anti-Poutine. Elles étaient poursuivies, sur plainte de l'église orthodoxe, pour profanation de la cathédrale.
Le monde entier (entendez « les pays du bassin atlantique ») les a élevées au rang de « martyres du système répressif russe » et elles ont été soutenues activement par des vedettes anglo-saxones comme Madona ou Paul McCartney, et, en France, par Mme Filipetti, alors ministre. Elles ont été, bien entendu reçues, en grande pompe aux Etats-Unis, y compris par Mme Clinton avec l’attention médiatique ad hoc.
Aujourd’hui, une pétition sur le site de la Maison Blanche demande à ce que leur visa américain leur soit retiré et qu’elles soient expulsées. Leur crime ? Elles sont allées soutenir les habitants de Fergusson qui protestaient contre la décision de justice de ne pas poursuivre le policier blanc qui a tué un jeune noir désarmé.
La démocratie c’est bien… surtout chez les autres !

mardi 25 novembre 2014

Un grand pays dirigé par un NAIN


Ainsi donc, il semblerait que le président français, dans sa grande sagesse et « en dehors de toute pression », ait décidé que les conditions n’était définitivement pas réunies pour permettre la livraison d’un navire commandé et payé par un pays client. Un pays avec qui officiellement (mais on nous cache peut-être quelque chose) la France n’est pas en guerre. Il sera toujours temps de parler des conséquences de cette décision au plan économique, social et politique.
Demandons-nous plutôt ce qui a bien pu lui faire prendre une telle décision. Je ne peux imaginer que le déballage, international maintenant, de ses turpitudes privées ait pu jouer un rôle quelconque. Encore que ces politiques manient l’art du contre-feu comme des pompiers-pyromanes chevronnés.
A vrai dire, j’espère qu’il y a eu des pressions. Si ce n’était pas le cas, le peu d’estime que j’ai pour le personnage disparaîtrait totalement. Mais au fond, il s’en fiche complètement et il a sans doute raison. Qu’est-ce que l’opinion d’un journaliste isolé ? Et ce n’est pas ce genre d’article qui va me valoir une appel téléphonique du rédacteur en chef d’un quotidien national, ni régional d’ailleurs ! Le fait que mon opinion puisse être partagée par un grand nombre de Français ne doit pas non plus l’empêcher de dormir. Un quotidien français publiait récemment un sondage suivant lequel 58% des Français étaient favorables à la livraison du Mistral. Mais chacun sait, depuis 2005 et le référendum sur l’Europe, qu’en France, l’opinion des Français n’est que de peu d’importance. Tout au plus y prête-t-on attention quand il s’agit de départager deux candidats qui, de toute façon, ne feront rien ou presque de ce qu’ils ont promis.
Je pense donc qu’il y a eu des pressions (j’ai parfaitement conscience qu’il ne s’agit pas ici d’un « scoop », merci). Comme je l’ai déjà écrit dans d’autres articles, le jeu des Etats-Unis est parfaitement compréhensible. Ils ne veulent laisser se développer aucune puissance susceptible de leur faire concurrence, même si cette puissance n’a aucune intention agressive à leur égard, comme c’est le cas de l’Europe. Le jeu qu’ils jouent en Ukraine est destiné à empêcher l’Europe de s’entendre avec la Russie. Le sort de l’Ukraine leur est parfaitement indifférent, c’est pourquoi ils traitent ce pays avec autant de cynisme.
Mais pour les Européens, il s’agit d’un voisin, comment peut-on agir de la sorte avec un voisin ?
L’Europe est maintenant dirigée par la Commission Européenne, plus par les dirigeants politiques des pays qui la composent. Comme le fait remarquer M. Valéry Giscard d’Estaing dans son livre « Europa », il serait temps que les rôles s’inversent comme cela devrait être le cas dans une vraie démocratie. Il en va de la survie de l’Europe. Et c’est précisément le dilemme auquel font face la Commission Européenne et les fonctionnaires qui la composent. Continuer dans la voie actuelle pourrait effectivement mener à l’éclatement de l’Europe et donc à leur disparition. Rendre le pouvoir aux états comporte également un risque important pour la carrière de ces fonctionnaires.
Il leur reste donc la solution de faire bloc avec un acteur extérieur et puissant, en lui servant de courroie de transmission, et en comptant sur son appui pour leur survie. Le calcul est clair, les intentions aussi, simplement, leur « parrain » n’est pas spécialement connu pour sa fidélité à ses partenaires quand ses intérêts changent. On ne peut pas tout avoir. En attendant, ces messieurs de Bruxelles ont clairement décidé de s’aligner sur l’Otan, le bras armé en Europe de celui qui, veulent-ils croire, est le seul qui puisse défendre leurs intérêts mesquins et égoïstes.
Le partenariat oriental est une invention de ces fonctionnaires européens. Ce sont eux qui ont soufflé sur les braises de « Maïdan ». Ce sont eux qui ont laissé croire aux Ukrainiens que leur pays allait rejoindre l’Union Européenne dans un avenir proche et, dans la foulée, l’Otan. Mais ni l’Otan, ni l’Union Européenne n’ont besoin de l’Ukraine dans leurs rangs. Ils ont simplement besoin que l’Ukraine y croie, et si, possible, la Russie également. Lorsqu’un ministre parle de cela, on entend d’ailleurs une musique très différente de celle jouée à Bruxelles. M. Frank-Walter Steinmeier, le ministre allemand des affaires étrangères a déclaré il y a quelques jours que le travail d’adaptation de l’Ukraine aux normes et règlements de l’Union Européenne serait le travail de plusieurs générations.
Quand Mme. Merkel parle des sanctions, c’est pour ajouter qu’elle souhaite que le dialogue ne soit pas rompu avec Moscou.
Mais le travail de la Commission continue. Son implication dans les événement Ukrainiens est patente et sa responsabilité écrasante. Mais il est vrai qu’il y bien longtemps qu’un commissaire européen n’a pas été écrasé par ses responsabilités. Il en va de même bien entendu avec les politiques déresponsabilisés qui nous gouvernent.
Pensez à ce qui s’est passé à Kiev le 21 février de cette année. L’Europe envoie trois ministres pour superviser un accord de compromis avec « l’encore président » Yanoukovich. On a déjà désamorcé des crises internationales de cette façon, c’était, à une époque une spécialité d’Henri Kissinger. Là, un accord est donc trouvé et signé, et nos irresponsables, très contents d’eux s’en vont illico. Le ministre français a fait déjà, à d’autres occasions la preuve de son niveau de compétence. Après tout, les nains ne sont pas réputés aimer s’entourer de grands hommes. Et c’est à cette occasion que l’on s’aperçoit que Kissinger n’a rien appris à personne. Les trois ministres, ces braves gens, reprennent leur avion, ils ont fait signer un papier, ils sont très contents, ils repartent. C’est du jamais vu. Dans une crise comme celle là, on doit rester sur place pour surveiller l’application de l’accord.
Mais, sans doute, il ne fallait-il pas que cet accord soit respecté. Il fallait juste qu’il soit signé pour montrer la bonne volonté de l’Europe. Ensuite, il fallait qu’il soit déchiré car le « parrain » le voulait. Après tout, comprenez-le, il avait déjà dépensé cinq milliards de dollars pour financer le chaos en Ukraine, à la frontière même de la Russie. Mme Nuland l’a expliqué à des hommes d’affaire Ukrainiens, les Etats-Unis ont dépensé cinq milliards de dollars pour favoriser leurs « aspirations à la démocratie » (c’est comme cela que ça s’appelle en « Novlangue »).
Tout cela semble avoir bien fonctionné, les membres de la Commission n’ont sans doute plus de soucis à se faire pour leur avenir et c’est ce qui compte pour eux, bien sûr. Enfin quoi, avec tout ce chômage qui s’étend en Europe et que la politique économique européenne n’a pas beaucoup de chance de faire baisser à brève échéance, on les comprend…
Le nain dont il est question dans le titre n’a pas non plus de soucis à se faire pour sa retraite. A son niveau de vue, c’est bien le plus important.
Mais à vous et moi, européens, qu’est-ce qu’ils sont tous en train de préparer ?
Comme l’expliquait récemment Mme. Carrère d’Encausse, « Le monde qui se dessine est en Asie. Nous, nous sommes des marginaux, l’Europe est un état marginal. Les Etats-Unis sont une puissance du Pacifique, ce qui se passe en Europe leur est égal. Tout comme la Russie, ils peuvent jouer le Pacifique ou l’Europe. Toutes les possibilités géopolitiques leurs sont ouvertes, mais, regardez la carte, l’Europe n’a pas d’autres possibilités, elle est enfermée en elle-même. »
En la coupant de la Russie, le « parrain » de la Commission met l’Europe hors jeu. Le monde a basculé, il se reconstruit du côté de « l’APEC » et de « l’Organisation de Coopération de Shanghai » (OCS). Mais pendant ce temps, la Commission et l’Otan nous amusent avec des colonnes militaires qui se baladent sur la frontière de l’Ukraine orientale, qui entrent, ou n’entrent pas, d’ailleurs, en Ukraine Orientale. Et les médias aux ordres (il faudra bien un jour chercher à mesurer la responsabilité des médias dans tout ce gâchis) nous annoncent une nouvelle invasion russe en Ukraine. Un confrère a eu la curiosité de recenser ces annonces d’invasion, il en a compté trente six sur les neuf derniers mois, une par semaine !... On serait tenté de rire s’il ne s’agissait pas d’une situation réellement dramatique.
Pour citer de nouveau Mme. Carrère d’Encausse, « Si on n’arrête pas les choses, l’histoire européenne ne sera bien sûr pas terminée, mais ce sera une histoire de déclin qui commencera. Je crois que personne ne peut accepter cela. La civilisation européenne est une immense civilisation, la Russie appartient à cette civilisation, ce n’est pas parce qu’il y a eu des malentendus, des incompréhensions, des années d’une politique maladroite, que l’on peut admettre que l’histoire de l’Europe s’achève là. Je pense que nous sommes véritablement à l’heure du choix ».
Mais pour qu’un pays fasse ce genre de choix, il lui faut un chef qui ait une vision. Celui de la France en a une, mais elle n’est absolument pas au bon niveau…

mardi 11 novembre 2014

Helmut Kohl règle ses comptes


Les scandales politiques se suivent et, au fond, se ressemblent. Détournement de fonds, (on dit, en novlangue, « prises illégales d’intérêts ») ou trahisons. Il n’y a pas qu’en France que l’on règle ses comptes par médias interposés.
Un des nouveaux scandales en Allemagne est lié aux mémoires de l’ex-chancelier Helmut Kohl. Ce dernier a travaillé pendant plus de onze ans avec un journaliste, Heribert Schwan, produisant, entre 2001 et 2012, quelques six cent heures d’enregistrements réalisés pendant plus de cent entretiens.
Sachant que le journaliste « retravaillerait » le texte avant de le publier, M. Kohl s’est parfois un peu « lâché » dans ses jugements, d’autant que les enregistrements eux-mêmes ne devaient être rendus publics qu’après sa mort. M. Schwan a déjà publié trois tomes des mémoires de l’ex-chancelier, avec son accord.
Aujourd’hui, l’état de santé de M. Kohl ne lui permet plus de communiquer librement et il semblerait que les relations du journaliste avec la dernière compagne de M. Kohl, Maike Richter, ne soient pas aussi faciles qu’avec son compagnon. Ainsi donc, M. Schwan a dû rendre les enregistrements à la famille. Il en a cependant fait une copie et a publié quelques extraits choisis dont certains sont parus dans le magazine « Speigel ».
Ces citations concernant également la réunification de l’Allemagne et un certain nombre d’hommes politiques russes, les médias russes se sont également intéressés au livre de M. Schwan. Les extraits ci-dessous sont traduits du quotidien « Komsomolskaya Pravda ».
A propos de Mikhaïl Gorbachev : son seul legs historique est la chute du communisme, qu’il a d’ailleurs provoquée presque contre son gré. La réunification nous a coûté quatre milliards d’euros. S’il m’avait demandé cent milliards, pour un pays dont le budget était de cinq cent milliards, j’aurais payé.
Boris Eltsine : c’était l’ami de notre pays et mon ami personnel. Son image publique ne correspond pas à ce qu’il était, un homme d’une grande intelligence, doté d’une force politique étonnante et qui n’hésitait pas sur les moyens pour atteindre ses objectifs. Bien sûr il s’était fait beaucoup d’ennemis. Il buvait pas mal aussi, mais quand il était ivre, il était beaucoup mieux que certains hommes politiques qui ne boivent jamais. Eltsine était le premier à avoir compris que le communisme était fichu alors que Gorbachev et sa femme croyaient encore qu’on pouvait le moderniser.
Angela Merkel : le thème de la trahison revient souvent dans les entretiens. Pour Helmut Kohl, le plus grand traître est son successeur, Angela Merkel. Il lui réserve donc ses traits les plus acérés. Selon lui, elle était très mal élevée quand il l’a « ramassée dans le ruisseau ». Elle se comportait de façon affreuse pendant les réceptions officielles et il a dû la reprendre à plusieurs reprises. Il lui aurait même appris à manier le couteau et la fourchette.
Il l’accuse de trafics divers, quand elle était responsable d’un mouvement de jeunesse en RDA et cite l’exemple de la récolte des myrtilles. A cette époque, le gouvernement avait décidé, pour soutenir les étudiants, de les encourager à récolter des myrtilles qu’il leur payait quatre marks le kilo. Mais dans le même temps, ces myrtilles étaient vendues deux marks dans les magasins. Selon Helmut Kohl, Angela Merkel aurait acheté de grandes quantités de fruits à deux marks, pour les revendre à quatre en utilisant ses relations politiques en RDA.
Mais le pire a été la trahison politique. A ses débuts, Mme Merkel était la protégée de Lothar de Maizière, ancien ministre d’Allemagne de l’Est. Quand il a été accusé, de collaboration avec la Stasi, en 1991, elle a soutenu ces accusations en public et a pris la place d’adjoint du président du parti quand son protecteur a dû démissionner.
Helmut Khol l’a alors approchée et l’a prise sous son aile. Mais en 1998, après la défaite électorale de la CDU face au SPD de Gerhard Schröder, il est poussé à la démission par son ancienne protégée qui soutient Wolfgang Schäuble qui prend la tête de la CDU. Helmut Kohl sera ensuite mêlé au scandale des « caisses noires de la CDU » ce qui provoquera la fin de sa carrière politique.
Il conclut sur l’incompétence de l’actuelle chancelière en politique européenne, déclarant, par exemple « quand je pense à ses bêtises, il ne me reste qu’à me signer ». Je vous épargne les sous-entendus et rumeurs diverses sur la vie privée de Mme. Merkel.
Mais, Helmut Kohl ne se contente pas de régler des comptes politiques dans ces entretiens. Il donne également sa vision de l’Allemagne et de son économie. Là non plus, il ne fait pas dans le détail.
Le capitalisme allemand aujourd’hui : « il y a longtemps qu’il ne se passe rien dans l’industrie car les gens qui travaillent là dedans ne prennent aucun risque et aucune décision depuis longtemps. L’industrie est devenu un club d’intérêts. Qui joue au golf le vendredi après midi à Marbella ? Qui va là-bas dans son avion privé ? C’est toujours les mêmes salauds. Et les banques, qui les dirige ? Toujours les mêmes. Ils ont fait toutes les erreurs partout où c’était possible, mais ils sont toujours là ».
L’avenir de l’Allemagne : « nous sommes un pays brisé, dans lequel même les enfants n’apprennent pas l’hymne national. (…) Quand on déclare qu’accoucher pour une femme est une anomalie, on perd notre humanité. Une femme qui a un enfant est considérée aujourd’hui comme une sotte. C’est la plus grande bêtise que l’on puisse entendre ».
Tout ceci est évidemment à prendre avec quelques précautions. L’amertume est perceptible dans presque chaque propos. Mais ce nouvel épisode apporte des informations ambivalentes à la classe politique française qui aime citer l’Allemagne en exemple. Côté positif (si j’ose dire), il n’y a pas que chez nous que l’on règle des comptes politiques en public. Côté négatif, quelle image de l’Allemagne et de son économie donne un de ses anciens chanceliers !…

dimanche 9 novembre 2014

Gouvernés par des irresponsables !


La prestation télévisée du président français m'a laissé une très désagréable impression de solitude. La solitude de quelqu’un qui se sent dirigé par un irresponsable qui se moque complètement de son sort, une espèce d'extra-terrestre perdu dans son rêve, déconnecté de la réalité et non concerné. C’est peut-être çà le pire, non concerné...
 Si seulement il s'agissait d'un cas unique, on pourrait se dire "bon déjà la moitié de passée, un peu de patience ! ». Mais que se passera-il dans deux ans et demi? Quel autre irresponsable va venir briguer les suffrages de la population ?
 Regardez autour de vous, à droite, à gauche, devant... Des candidats ? Effectivement il n'en manque pas. Mais que valent-t-ils ? Un confrère me disait récemment, « le problème, tu vois, c'est que les qualités pour se faire élire ne sont pas celles nécessaires pour gouverner ».
 Mais pour gouverner quoi et qui ? Depuis le début du renforcement du rôle de l’Europe, la zone de responsabilité des politiques de chacun des pays n’a cessé de se rétrécir au profit de Bruxelles. Et qui dirige à Bruxelles ? Des politiques, c’est à dire des personnes responsables de leurs décisions devant des électeurs ?
  Nos politiques nationaux nous expliquent qu’ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent, à cause de Bruxelles. Puis, comme il faut bien nous faire avaler cette situation non démocratique, ils nous expliquent que « l’Europe c’est la paix ». Il n’ont plus le culot de nous dire comme ils l’ont fait aussi pendant des années que « l’Europe c’est la prospérité », alors ils nous expliquent que la France sans l’Europe, ce serait le chaos. Ou comme l’a dit l’irresponsable en chef français : « un France rabougrie, rapiécée, fermée sur elle-même ». Le choix même des mots est révélateur…
 Nous voilà donc condamnés à vivre dans une démocratie qui n’en a plus que le nom, un régime surréaliste dans lequel le rêve est permis, mais lui seul. Circulez bonnes gens et allez donc remplir une grille de Loto !...
 Que recherchent les politiques qui briguent des positions de responsabilité ? Que pourrait donc chercher une personne sérieuse et honnête alors qu’il n’y a presque plus de responsabilité attachée à ces postes, que le pouvoir de changer les choses s’est déplacé ?
 Si on veux un tel pouvoir, on ne peux donc vouloir autre chose que le pouvoir pour le pouvoir. Mais une telle quête de pouvoir pour lui-même, entre en contradiction avec les valeurs que l’on prétend défendre. Comment régler cette situation de dissonance cognitive ? En se réfugiant dans un monde virtuel où la réalité n’a plus de prise. Quand on est dans ce monde virtuel et que, pour faire plaisir à quelque « communiquant » supposé nous faire gagner quelques misérables points dans des sondages de popularité (comment peut-on encore parler de popularité, d’ailleurs), on feint de s’intéresser « aux gens », on ne peut sonner juste. On peut juste « noyer le poisson » quand on vous parle de délocalisation où faire preuve d’arrogance en conseillant à un étudiant qui ne trouve pas de travail de s’expatrier…
 Un président qui, pour résoudre un problème grave de dissonance, donc un problème psychologique, fuit la réalité et se réfugie dans un autre monde, un monde virtuel, perd petit à petit le contact avec la réalité alors que, justement, il a été élu pour influer sur cette réalité dans un sens qui améliore les conditions de vie de ceux qui l’ont élu.
 Et il nous entraîne, dans une démocratie surréaliste, le contraire de la démocratie…
 Il est donc normal pour lui, dans ce monde irréel, de considérer qu'il peut régler les problèmes en répondant à quatre personnes (soigneusement choisie, on s’en doute), sans apporter de vraies réponses mais en voulant donner l’impression de compatir avec leurs souffrances, comme s’il n’était pour rien dans ces souffrances. Irresponsable donc non coupable…
 Mais quand on aborde le vrai sujet du chômage, notre chef irresponsable admet modestement que le chômage ne pourra régresser sans une reprise de la croissance, tout en expliquant que la croissance est maintenant en dehors de la zone d’influence possible de son gouvernement.
 De novembre 1991 à novembre 2014, nous sommes passés du « responsable MAIS pas coupable » au « irresponsable DONC pas coupable ». C’est pourquoi de tels politiques ne sont pas gênés que ce soit exclusivement les autres qui pâtissent de leur médiocrité et de leur incapacité à agir sur les événements. Peut-être que, comme le disait récemment le premier ministre qui enregistre sur « La Voix de son Maître », « les conditions ne sont pas réunies ». En disant cela, ils expliquent qu’en réalité ils ne sont pas responsables de la décision, ce sont les « conditions » qui le sont…
 Solitude et impuissance mènent à la rage qui, elle, peut mener n’importe où, surtout là où on ne devrait pas aller dans un pays moderne et démocratique. Mais la France d’aujourd’hui est-elle encore cela ?

mardi 21 octobre 2014

Où allons-nous Mme Merkel ?


C’est à Milan qu’a eu lieu, en fin de semaine dernière le défilé des dirigeants européens pour la traditionnelle rencontre avec leurs homologues asiatiques. Mais c’est une autre rencontre qui a éclipsé ce sommet, celle entre MM. Poutine, Poroshenko, Hollande et Mme. Merkel à propos de la crise ukrainienne ; le « format normand » comme l’ont appelé des confrères en mal d’imagination, par référence à la rencontre qui avait eu lieu lors de la commémoration du débarquement en Normandie.
Que s’est-il passé à Milan ? Si j’analyse tout ce que j’ai pu lire ou entendre de différentes sources, pas grand-chose. Et pourtant les commentaires étaient plutôt positifs. L’inénarrable M. Von Rumpuy a carrément parlé de progrès, car selon lui, M. Poutine aurait déclaré qu’il ne voulait pas que la crise ukrainienne se transforme en « conflit gelé ». On mesurera la profondeur de cette analyse de la part du futur ex-président du Conseil européen en imaginant que M. Poutine ait pu déclarer le contraire…
Le président français a déclaré, lui, que l’on n’avait jamais été si près d’une accord sur le gaz entre l’Ukraine et la Russie. Une telle déclaration n’engage à rien, à vrai dire, et ne donne aucune indication sur la réalité de la négociation.
Pour le président Poroshenko, « nous nous somme mis d’accord sur les paramètres d’un règlement du problème gazier ». Quels sont ces paramètres ? Mystère. Le plus difficile sera certainement de trouver un niveau acceptable par les deux parties, sur ces paramètres. C’est quasi exactement la position dans laquelle se trouvaient les deux pays avant cette rencontre.
Tout le monde, du côté européen et ukrainien semblait d’accord pour adopter une position optimiste complètement surréaliste. En réalité, les Européens donnent l’impression de réaliser dans quel guêpier ils se sont mis sous la pression américaine relayée par leur collègue allemande et préfèrent actuellement se réfugier dans ce monde virtuel qui leur va si bien. Ce monde dans lequel il suffit de donner l’impression de faire quelque chose pour que cela donne l’impression de se faire. Mais tôt ou tard, il faudra de nouveau atterrir dans le monde réel et là, l’atterrissage sera dur.
A sa sortie des discussions, M. Poutine souriant a seulement déclaré que tout allait bien. Sans préciser si tout allait bien pour lui, la Russie, l’Europe, l’Ukraine ou les négociations en général. J’ai, évidemment, ma petite idée là dessus. Le président russe se sait responsable de la Russie et de ses citoyens, il est donc clair pour moi à qui il faisait allusion. Il n’a pas fait d’autres commentaires, mais nous apprenions plus tard que la Russie était disposée a accorder une ristourne de 100 dollars par mille mètre cubes pour le gaz livré en 2014, au prix de 385 dollars. Un tel prix ferai baisser la dette de l’Ukraine vis à vis de Gazprom de 5,5 à 4,5 milliards de dollars. Mais dans le même temps, il renvoyait le problème ukrainien à l’Union Européenne en déclarant qu’en tout état de cause, la Russie ne livrerait pas de gaz à l’Ukraine à crédit, et que l’Europe devrait aider l’Ukraine à payer ses dettes gazières.
Je n’ai pas encore entendu mes confrères occidentaux crier à « l’affreux chantage » de Moscou. Peut-être en sont ils retenu par les déclarations du ministre polonais de l'Economie M. Janusz Piechocinski à propos du désir ukrainien de recevoir du charbon polonais gratuitement. Le président du sénat polonais, M. Bogdan Borusewicz, en visite à Kiev le 10 octobre dernier avait indiqué que son pays était prêt à livrer du charbon à l’Ukraine. "Nous devrions discuter de la possibilité d'exporter, car l'Ukraine souffre d'un déficit de charbon, alors que la Pologne en possède beaucoup". Il avait parlé de la possibilité de vendre 10 millions de tonnes de charbon. Mais quelques jours plus tard, l’Ukraine avait annoncé qu’elle jugeait normal que ce charbon lui soit livré pratiquement gratuitement. M. Piechocinski avait alors évoqué la « surprise et une sorte de mépris face à cette position ukrainienne ».
De son côté, le porte parole du président russe, M. Dmitri Peskov n’a pu s’empêcher d’ironiser sur « l'inconséquence de la Pologne qui n'est pas prête à fournir gratuitement du charbon à l'Ukraine, mais désapprouve la position de la Russie sur ses livraisons de gaz à Kiev »…
Comme si tout cela ne suffisait pas, le chef de la diplomatie ukrainienne M. Pavel Klimkine a déclaré, samedi, dans une interview à l’hebdomadaire allemand « Wirtschaftswoche » que les 30 milliards de dollars d’aide promis par l’Europe ne suffiraient pas, « les mesures de stabilisation macroéconomique traînant en longueur ».
C’est pourquoi je demande à Madame la chancelière allemande qui se comporte depuis de nombreux mois comme le chef de l’Europe, aussi bien dans le domaine économique que dans celui, politique, des sanctions contre la Russie : "où allons-nous, Mme. Merkel ?"
La chancelière allemande a développé ces derniers mois une habitude de faire pression sur ses partenaires européens pour obtenir ce qu’elle voulait. Comme, en général, cela marche, elle imagine pouvoir faire la même chose avec M. Poutine. C’est sans doute pour cela qu’elle est à l’origine de ce petit déjeuner organisé samedi matin. Mais le président russe est d’un autre calibre que les présidents européens. Il n’est donc pas étonnant que Mme. Merkel ait eu son air des mauvais jours en sortant de ce petit déjeuner.
On la comprend ! Sa position commence à être pour le moins inconfortable. L’économie européenne ne se porte pas bien et ses partenaires commencent à accuser de façon de moins en moins discrète la politique de rigueur imposée par l’Allemagne. Les sanctions contre la Russie n’ont rien fait pour améliorer la situation économique.
Mais comment aller contre la volonté de l’allié américain ? Et il faudrait également affronter les politiciens pro-atlantiques de son parti. La solution serait évidemment que M. Poutine cède sur toute la ligne, mais Mme. Merkel a certainement compris, maintenant, que cela ne se fera pas. Si elle avait encore besoin d’en être convaincu, le retard de plus de trois heures imposé par le président russe à leur rencontre vendredi soir et sa remarque sur ce que devrait faire l’Europe pour aider l’Ukraine à payer son gaz, seraient des preuves plus que suffisantes.
Au contraire, le président russe a déclaré, avant de quitter Milan, que la Russie ne fournirait pas de gaz à l’Ukraine à crédit et que c’était son dernier mot. Souvenons nous qu’avant de quitter Moscou, il avait annoncé l’intention de Gazprom de diminuer les quantités de gaz expédiées dans les gazoduc si l’Ukraine continuait à voler le gaz destiné aux clients européens. Une telle pratique est facile à contrôler, il y a des compteurs à l’entrée de l’Ukraine, côté russe et à la sortie, côté européen. Une telle méthode avait été utilisée en 2009. Elle pourrait l’être à nouveau ce qui se traduirait tôt ou tard par une coupure des exportations de gaz russe via les gazoducs ukrainiens. Le message de M. Poutine est clair : « Européens, faites pression sur vos nouveaux amis pour qu’ils se comportent correctement ».
Mais nous avons eu maintes fois l’occasion de constater que les dirigeants ukrainiens sont imprévisibles et incontrôlable. Quelle confiance accorder à un président Poroshenko qui déclare à Milan que tout ou presque est réglé (« nous sommes d’accords sur les paramètres ») avant de déclarer, en fin de journée, que rien n’est réglé ? Et quel est le pouvoir réel de l’actuel président ukrainien. Son premier ministre M. Yatseniouk (« Yats ») a été choisi par les Etats-Unis (on se souvient de la discussion téléphonique de Mme. Nuland avec l’ambassadeur américain en Ukraine). D’ailleurs, au fait, que faisait Mme. Nuland à Kiev la semaine dernière où elle a été reçue presque comme un chef d’état ?
Et que se passe-t-il dans le sud de l’Ukraine ? Les troupes gouvernementales ont été accusées d’exactions. Dans le cas de charniers découverts il y a déjà plus d’un mois, aucune enquête sérieuse n’a eu lieu. Maintenant, on accuse ces mêmes troupes d’avoir bombardé Donetsk avec des bombes à sous-munitions. Bombarder des zones occupées par des civils avec ce type de munition est considéré comme un crime de guerre. Cette fois, c’est le « New York Times » qui accuse. On peu reprocher énormément de choses à ce quotidien américain, mais pas d’être « pro-russe », bien au contraire. Les opérations militaires dans le sud de l’Ukraine commencent à apparaître pour ce qu’elles sont, une expédition punitive. Alors, tout le monde veut croire au cessez-le-feu, donc on ne parle pas, ou presque des violations journalières de ce même cessez-le-feu à Donetsk ou sur l’aéroport de la ville chèrement disputé par les deux parties.
Qu’en sera-t-il demain ? Si M. Poroshenko décide de la fin des opérations, M. Kolomoïski acceptera-t-il ? Et les autres oligarques ukrainiens qui ont des positions à défendre ? Et quid de la situation après les prochaines élections législatives. M. Yatseniouk a créé un nouveau parti dans lequel il a de nombreux partenaires de l’extrême droite ukrainienne. Ne pousseront-ils pas à la reprise des combats pour, une fois pour toute, « pacifier » (comprenez « nettoyer ») le Dombass. La Rada (parlement ukrainien) a bien voté une loi de décentralisation concernant le Dombass, mais cette loi est peu claire sur plusieurs points importants et, en plus, elle est valable trois ans uniquement. Que se passera-t-il ensuite ? Les dirigeants des républiques auto proclamées n’attendront pas si longtemps pour le savoir.
Quelle sera la réaction des dirigeants ukrainiens quand ils comprendront que l’Europe ne va pas les aider. Que tout ce qu’ils vont recevoir, ce sont des bonnes paroles mais pas d’argent ? Qu’il devront supporter seuls le coût énorme de la reconstruction du Dombass ? Vous étiez le soutien le plus fort du gouvernement Ukrainien, vous étiez le seul chef d’état présent à l’inauguration du président Poroshenko, alors je vous le demande : « où allons-nous Mme. Merkel ? »
La situation économique de l’Union Européenne est plus que préoccupante. On parle maintenant de déflation. Le chômage est au plus haut partout, sauf en Allemagne. En Grèce il est de plus de 25%, comme en Espagne, ailleurs, comme en France, en Italie ou au Portugal il reste désespérément supérieur à 10%.
Les bourses sont en baisse, les taux d’intérêt auxquels des pays comme la Grèce doivent emprunter pour refinancer leur dette sont en hausse (plus de 9% pour la Grèce, comment son économie va-t-elle réagir ?).
D’un point de vue politique, la situation de l’Union Européenne n’est pas meilleure. Même « The Economist » titrait après les élections de mai dernier sur l’Europe eurosceptique, (« The Eurosceptic Union »), et expliquait dans l’article correspondant que l’Europe était en train de devenir la tête de pont d’un mouvement eurosceptique. De son côté, le président hongrois, M. Viktor Orban partait en guerre contre la « démocratie libérale », ce qui est un comble pour le président d’un pays qui fait partie d’une organisation basée précisément sur la « démocratie libérale » (cf. article du Financial Times du 30 juillet 2014). Tout ceci pousse les autorités de Bruxelles dans une sorte de radicalisme qui se renforce à vue d’œil. Ce radicalisme que beaucoup d’Européens reprochent maintenant à une Allemagne qui n’est tout de même pas responsable de tout.
Mais la France, l’Italie et la banque centrale européenne semblent s’être donné le mot pour mettre en cause la politique d’austérité prônée par Berlin. On sait ce que l’on peut attendre du président français qui n’est pas un modèle de courage dans ces situations, surtout face à Mme. Merkel. M. Renzi, lui a appelé le FMI à la rescousse en déclarant jeudi : « Comme l’a dit le FMI, nous devons nous concentrer sur la croissance ». Un discours qui, évidemment, ne plaît pas à la chancelière et au directeur de la banque centrale allemande, M. Jens Weidmann. Ce sont sans doute ces divergences entre les partenaires qui ont ébranlé la confiance des observateurs internationaux et provoqué les mouvements récents sur le marché des capitaux. M. Weidmann semble maintenant un peu isolé au conseil de la Banque Centrale Eurpéenne (BCE), mais il ne faut pas oublier qu’il parle au nom d’une partie importante de l’opinion allemande et qu’il a été longtemps le conseiller de Mme. Merkel.
Les perspectives économiques de la zone euro ne sont pas encourageantes. Ainsi Jean Artus, dans une note de conjoncture de la banque Natixis conclut par ces mots : « L’impuissance, ou la lenteur des effets des politiques économiques dans la zone euro est effectivement déprimante ».
L’euro lui-même est également attaqué par un grand nombre d’économistes (pas tous d’extrême droite, M. Moscovici !). Mais l’Allemagne est certainement le pays qui a le moins à gagner de la disparition de l’euro. Alors, une fois encore, « où allons-nous Mme. Merkel ? »
La crise ukrainienne a mis en évidence une Union Européenne sans vision, sans politique commune, ni dans le domaine international, ni dans le domaine économique. On nous dit l’Europe c’est la paix. Ah oui ? Alors l’Ukraine ce n’est pas l’Europe ? C’est ce que pourraient bien découvrir les Ukrainiens dans un avenir très proche. Quant à l’Europe, survivra-t-elle à cette accumulation de problèmes en apparence insolubles ?
L’Urss a disparu en moins de trois jours…

jeudi 9 octobre 2014

Mme. Federica Mogherini devant le “Soviet Suprême”


Je sais, c’est un peu « facile ». J’ai d’ailleurs hésité avant de me permettre ce titre sensationnaliste et un tantinet racoleur je dois bien l’admettre. A chacun sa façon d’évacuer les excès de stress. Il y a ceux qui s’énervent, crient, hurlent émettent des grossièretés. Il y a ceux qui « prennent sur eux », des candidats à l’ulcère et autres joyeusetés. Je préfère l’ironie, même si elle est parfois un peu grinçante.
Donc lundi, Mme Mogherini qui succède à Lady Ahston passait son examen devant le Parlement Européen. Si vous vous souvenez bien, sa candidature à la succession avait été un temps discutée car on la soupçonnait d’être trop « neutre » vis à vis de la Russie. En effet, n’avait-elle pas prôné un certain dialogue avec le « diable ». On l’a d’ailleurs vue lui serrant la main (photo). C’est dire.

Que s’est-il passé dans les couloirs feutrés de la commission, quels compromis ont-ils été élaborés, quelles garanties a-t-elle dû donner pour finalement obtenir ce poste ? Je ne suis évidemment pas dans le secret des dieux de l’olympe bruxellois. Je ne peux que constater que pour son entrée en matière, cet examen de passage devant le PE, elle n’a pas lésiné. Elle a parlé, rien moins, que d’un recours à la force armée. Pas mal pour un début, non ? Attention, c’était pour ajouter qu’une telle intervention ne serait pas nécessaire… Alors à quoi bon le mentionner, me direz-vous. Peut-être n’est-elle pas encore complètement entrée dans le moule bruxellois. En s’entendant parler comme il se doit en ce cénacle, elle a peut-être pris peur et s’est rétractée. Qui sait. Ce genre de réflexes stupides devrait lui passer rapidement. En tout cas si elle veut garder sa place.
Pour le reste, un sans faute !
Oui, il faut maintenir les sanctions et il faut même que tous les pays ne fassent qu’un derrière Bruxelles. L’EU semble avoir pour les sanctions la même passion que les médecins de Molière pour la saignée. Pensez, depuis 2003 ils ont introduit des sanctions contre la Birmanie, contre la Biélorussie, contre la Libye, à deux reprises contre l’Iran, contre la Syrie.
Qu’est-ce donc que ces pays qui demandent la levée des sanctions au motif que leur économie en souffre. Je vous demande un peu. Après tout, l’économie n’est pas le secteur de Mme. Mogherini. Son secteur c’est la politique étrangère. Au fait, la politique étrangère d’un ensemble qui n’a pas de politique étrangère (au sens d’unique et de cohérente), c’est quoi ? A moins qu’il ne s’agisse d’être la porte parole en Europe de la politique étrangère du patron américain. Celui dont le vice-président déclarait devant un parterre d’étudiants à Harvard en fin de semaine dernière que les pays européens ne voulaient pas appliquer les dernières sanctions, mais que le président Obama avait su trouver les arguments pour les forcer à le faire.
La déclaration de M. Biden à Harvard comportait d’autres « perle », des choses qu’un vice-président américain ne peut pas dire, même quand il les pense. Il a donc dû appeler quelques dirigeants de pays du Moyen Orient dont il avait mis la loyauté en doute, pour s’excuser. Il n’a pas cru bon d’appeler l’UE pour le faire. A chacun sa place dans la hiérarchie américaine, n’est-ce pas ?
Alors, à quoi pense l’ambassadeur de France en Russie qui déclare à des journalistes à Ekaterinbourg : « Nous espérons sortir de ce cycle des sanctions dans un avenir proche. Et nous sommes venus ici pour nous préparer au moment, où il sera possible de mettre intégralement en œuvre la machine de la coopération franco-russe ». Nous savons tous qu’un ambassadeur ne prendrait pas la responsabilité de ce genre de déclarations. Ce qu’il dit publiquement, il le dit au nom de la France et donc il doit avoir l’accord du quai d’Orsay avant de parler.
On n’ose penser à un éventuel « réveil » français. En plus, il est trop tôt pour le faire. Et puis, ce n’est pas sans risques et ce n’est pas dans le caractère du président actuel. Mais tout de même, la France n’a pas renoncé à livrer le premier Mistral, malgré les « fortes pressions » du partenaire américain (cher partenaire). Malgré ce que cela a, peut être, coûté à la BNP. Bon, c’est vrai, on a fait mine de se « coucher » un temps, mais c’était pour ne pas gâcher la belle fête de cette rencontre de l’Otan au Pays de Galles. C’est vrai, quoi, il est plus facile d’être seul contre tous quand, justement, ces « tous » ne sont pas physiquement en face de vous.
Maintenant on vient nous faire miroiter un hypothétique gros contrat d’armement avec la Pologne si on ne livre pas le second bateau. Mais depuis qu’elle est indépendante, la Pologne a toujours acheté son armement aux américains. On nous prend vraiment pour des demeurés ou quoi ?
Comme disait M. Chirac, « les ennuis volent toujours en escadrille » (je ne suis d’ailleurs pas sur qu’il n’employait pas un terme un peu plus « percutant »). Après la BNP, le Mistral, des dirigeants de grandes entreprises françaises qui déclarent qu’ils continueront à faire des affaires avec la Russie comme d’habitude ou presque, voilà que la commission prépare des remontrances à propos du budget 2015 de la France et parle même de sanctions (tiens encore ?) financières de plusieurs milliards d’euros. On a déjà tellement de mal à faire des économies, ils nous en veulent à Bruxelles ?
Tout ceci est-il dû totalement au hasard, après les déclarations de notre ambassadeur, celles un peu antérieures de M. Chevènement et notre obstination à tenir notre parole vis à vis de nos clients ?
La France n’est pas la seule à souhaiter ouvertement une fin des sanctions. D’autres pays l’on fait avant elle, comme la Tchéquie. Mais ces pays n’ont pas le même poids économique et symbolique dans l’UE. Si la France devait un jour prendre ses distances avec l’Europe de Bruxelles (pas l’Europe en général, bien sûr) et, pourquoi pas, l’euro, c’en serait sans doute fini de ces deux constructions. Le message de Bruxelles est donc clair, « en rang et je ne veux voir qu’une seule tête » !
Ceci me ramène à la remarque de M. Biden. Il a dit, dans son discours que « les Européens » ne voulaient pas appliquer ces sanctions et le président Obama, etc. Mais de qui parlait-il vraiment ? Des Européens comme un ensemble de pays pris globalement ou de l’Union Européenne, c’est à dire de Bruxelles ? Je pencherai pour la première solution et c’est pourquoi il n’a pas cru bon d’appeler pour s’excuser. Il sait, nous savons, Bruxelles évidemment sait que les fonctionnaires de Bruxelles étaient prêts à appliquer ces sanctions. Ce sont les pays qui ont un peu renâclé. Ils avaient déjà pu constater les effets négatifs des sanctions sur leurs propres économies. Et puis, les dirigeants des pays européens ont de lourdes responsabilités devant leurs électeurs. En particulier il faut absolument faire redémarrer ces économies en panne depuis si longtemps. Et puis, la Russie est un énorme client et en matière de commerce, les places perdues sont difficiles à reprendre.
Un fonctionnaire européen n’a pas ce genre de problème. Où sont ses électeurs ? Mais il lui faut absolument préserver l’UE. Il s’agit de sa carrière, on ne rigole pas avec ces choses là. Les dirigeants de Bruxelles ont choisi leur camp, celui du bassin atlantique. Ils étaient donc prêts, sans états d’âme à appliquer les nouvelles sanctions et ne se sont donc pas sentis visés par les remarques de M. Biden. Et l’honneur de l’Europe, me direz-vous ? Les citoyens européens ne se reconnaissent pas dans l’UE, pourquoi demander aux fonctionnaires de Bruxelles de le faire. Et en ces périodes de chômage…

dimanche 28 septembre 2014

Faire quelque chose… militairement


Quand “faire quelque chose” veut dire “faire quelque chose militairement”, on se prépare à des échecs et des retours de flamme. C’est le manque d’imagination de nos dirigeants qui pose problème.
Plutôt que d’imaginer des solutions, une attitude que l’on a semble-t-il oubliée, on réagit « à chaud », de façon émotionnelle et donc sans réflexion. Un dirigeant a des émotions, c’est d’ailleurs souhaitable, mais il doit être capable de les dépasser avant de prendre des décisions aussi importantes que de mener une guerre. Cela ne semble plus être le cas. J’y vois une conséquence, oserais-je dire une victoire, du terrorisme. Les hommes politiques et les médias en sont responsables et nous en sommes complices.
Une réaction « à chaud » est une réaction qui n’a pas été évaluée correctement. Ce n’est pas forcément une réaction mauvaise à court terme. Mais justement, elle représente une vue à court terme, une vue qui ne cherche pas à évaluer calmement les conséquences au delà de ce « court terme ». On peut tolérer ce type de réaction d’un individu ordinaire.
Mais diriger, c’est réfléchir, c’est prévoir, c’est faire preuve d’imagination. Diriger, ce n’est pas faire comme tout le monde, ce n’est pas imiter ses voisins, c’est être capable d’imagination. C’est aussi être capable d’analyser le passé pour en tirer des enseignements. Un président, des ministres, des députés, des sénateurs sont des personnes qui ont cherché à obtenir le pouvoir, ce pouvoir qu’ils semblent maintenant ne plus vouloir exercer. Ce pouvoir que nous leur avons donné à eux, malheureusement parfois, faute de mieux.
Si je prends le cas français, le manque d’imagination des dirigeants se traduit par des déclarations du genre « on devrait faire comme en Allemagne », ou « ça marche bien au Danemark, pourquoi ne pas essayer chez nous ». Parce que la France n’est ni l’Allemagne, ni le Danemark et les Français ne sont ni des Allemands ni des Danois.
Dans le domaine des interventions à l’étranger, le modèle favori des dirigeants politiques français aujourd’hui, c’est l’Amérique. Où est le temps où l’on moquait volontiers le manque de subtilité américain ? Peu importe que les Etats-Unis n’aient connu que des échecs et des défaites, dans leurs interventions, depuis le Vietnam en particulier, en Afghanistan en 2001 et en Iraq en 2003, sans parler du Yémen, de la Somalie ou de la Lybie.
En 1991, les Etats-Unis ont perdu leur adversaire idéologique et se sont retrouvés seule puissance globale. Une situation qu’ils n’avaient d’ailleurs pas prévue et à laquelle ils mettront plusieurs années à s’habituer. Le virage de la superpuissance a été pris au début des années 2000 quand les « néo-conservateurs » on pris le pouvoir à Washington. Les théories de domination totale ont alors vu le jour.
Les Etats-Unis étaient tout puissants, les gardiens de la démocratie mondiale à qui il restait seulement quelques états de « l’axe du mal » à faire rentrer dans le « droit chemin ». Jamais dans l’histoire du monde un pays n’avait tenu ce type de position, assise, de plus, sur une puissance militaire inégalée.
Pourtant, malgré cette puissance considérable, depuis le début du siècle, aucune intervention militaire n’a fonctionné. Pas un seul état, fut-il petit, mal équipé, faible, impopulaire n’a été défait. Pas un groupe terroriste n’a été éliminé, pas un seul. Et pourtant, la France (elle n’est pas la seule, bien sur) a décidé de suivre le nouveau « maître du monde » malgré ses résultats peu convainquants. Je n’ai pas entendu un membre du gouvernement mettre en doute le bien fondé de la méthode forte. On continue à appliquer toujours les mêmes méthodes en espérant à chaque fois obtenir un résultat différent. Une forme de folie.
Et plus le temps passe, plus cette folie semble toucher de monde. On nous dit que les Etats-Unis sont au plus haut de leur puissance. Certains dont j’ai fait partie un moment, voient plutôt un immense empire militaire en train de se désintégrer sous le poids de son impuissance et plus le temps passe, plus cette désintégration que personne ne veut encore admettre, pousse à des comportements de moins en moins raisonnables, de plus en plus psychotiques et donc de plus en plus dangereux (Philippe Grasset décrit très bien cette situation dans les nombreux articles sur le sujet de son site www.dedefensa.org). Dans son allocution télévisée annonçant la reprise des bombardements en Irak le président américain a expliqué que cette nouvelle guerre durerait plusieurs années. Selon certains de mes confrères américains, des « sources bien informées parlant sous condition d’anonymité » (vous connaissez la formule consacrée) parlaient de 36 mois au minimum. Ainsi donc, loin de sortir les Etats-Unis d’Irak, comme il l’avait promis pendant sa campagne électorale, il va « léguer » ce conflit à son successeur (Alfred Nobel doit se retourner dans sa tombe). Et la France suit, merci M. le président…
Il y a cependant une autre analyse possible de ce comportement américain qui m’a longtemps semblé incohérent. Elle a été proposée en 2003 par M. Jacques Sapir, à une époque où les médias ont préféré gloser sur l’opposition franco-germano-russe à l’intervention en Irak. Dans un article publié par la « Revue internationale et stratégique », il y expose ce qu’il appelle « l’isolationnisme interventionniste providentialiste américain ». Il s’agit d’un glissement de la vision impériale qui dominait jusqu’à la fin du XXe siècle, vers un isolationnisme qui ne cherche plus à organiser le monde, mais à détruire toutes les sources de danger pour le continent américain. J’ai abordé l’aspect « providentiel » dans un autre article.
Cette approche me semble mieux expliquer l’attitude des dirigeants américains qu’il s’agisse évidemment de M. Georges W Bush mais aussi, quoi qu’il s’en défende, de M. Barak Obama. Elle ne fait plus la part belle à une irrationalité et une courte vue qui, bien qu’elle séduise une frange importante de la population française, ne peut être imputée à des dirigeants de ce niveau et à leurs conseillers.
Mais si cela rassure mon sens de la logique, c’est bien le seul aspect rassurant que j’y trouve.
Ainsi on s’en prend à l’Ukraine de façon cynique parce que l’on veut détruire le lien entre la Russie et l’Europe et, si possible provoquer un changement de régime en Russie. Peu importe le nombre d’Ukrainiens qui le paieront de leur vie. Peu importe la situation économique de l’Ukraine. Au contraire, plus la situation économique de ce pays est désespérée, moins il y aura de candidats à faire alliance avec lui, et même si on n’atteint pas le but initial en Russie (et il est fort probable que l’on n’y arrive pas) on aura évité une alliance entre la Russie et l’Ukraine qui aurait fait de l’Union Eurasiatique un danger pour les Etats-Unis. Peu importe que la Russie n’ait plus aucun désir d’envahir ses voisins et de reformer l’ex-empire soviétique, il suffit de s’en convaincre et de convaincre la population américaine, car comme le dit Aaron David Miller dans un article de Foreign Policy daté du 23 septembre :  « Nous sommes très bons à nous faire une peur du diable et à agir ensuite sur cette base. Nous avons fait cela depuis les débuts de la république… »
De même, les Etats-Unis soutiennent, arment et financent des mouvements terroristes dans le monde, pourvu qu’à un instant donné ils servent les intérêts américains. Peu importe qu’à terme on se retrouve face à ces armes que l’on a distribuées. On l’a vu en Afghanistan où les Etats-Unis ont armé les Talibans qui luttaient contre l’Union Soviétique, avant de se retrouver face à ces mêmes Talibans. ISIS a été considéré comme un allié acceptable contre M. Assad en Syrie jusqu’à ce qu’il commence à s’étendre en Irak avec le succès que l’on sait.
L’échec en Irak est patent. Malgré des dépenses ahurissantes, 25 milliards de dollars pour entraîner une armée irakienne dont on a vu les performances récemment, 60 milliards pour une reconstruction qui n’a pas eu lieu et 2.000 milliards pour la guerre, sans compter les milliers de morts, il semble qu’il faille tout recommencer. Cette fois, on ne mettra pas de troupes au sol, promis juré. Mais il y a trois ans, les Etats-Unis avaient soit disant laissé derrière eux en Irak un pays stabilisé (discours de M. Obama).
Le ministre des affaires étrangères français explique que les combats au sol doivent être menés par « les populations locales »(journal de 20H, A2, dimanche 28 septembre 2014). Mais quelles populations ? Les Irakiens, on a vu leur armée. Les Kurdes ? Les médias européens ne tarissent pas d’éloge pour les « Peshmergas » kurdes. Mais qu’en pense la Turquie voisine qui ne veut pas entendre parler d’un état kurde ?
La France, nous dit-on ne va bombarder que le territoire irakien, mais pas la Syrie. Notre ministre d’expliquer qu’en Syrie, nous avons une autre action. Nous soutenons l’opposition modérée. Mais que savons-nous de cette opposition modérée. En quoi est-elle modérée ? Bien souvent l’opposition modérée n’est qu’une opposition soutenue par les Etats-Unis et qui deviendra à terme un groupe terroriste quand il commencera à s’opposer à celui qui l’a nourri. Et le cycle recommencera. Pour le moment, la seule opposition modérée en Syrie est constituée de jihadistes comme Jabhat al-Nusra, Ahrar al-Sham et le Front Islamique. Leur sectarisme violent n’est pas très différent de celui de l’ISIS.
Je ne suis pas systématiquement contre une intervention militaire. Il y a des moments où elle se justifie. Mais j’aime que l’on m’explique, avant de se lancer, pourquoi cette intervention est légitime. Et attention à la manipulation médiatique. Quand un responsable m’explique qu’il faut « y aller » parce qu’en face de nous nous avons des « barbares », tout ministre qu’il soit, je me dis que tout pays attaquant désire justifier moralement son intervention et il aura donc une forte tendance à diaboliser son adversaire. Ceci n’est pas une motivation raisonnable.
L’alternative à ne rien faire n’est pas agir militairement. Il y a d’autres solutions, comme des solutions politiques que l’on peut mettre en œuvre grâce à des efforts diplomatiques. Au lieu de me parler de bombardements, même s’il sont, peut-être, un des éléments de la réponse appropriée, j’aimerais que l’on essaie de m’expliquer comment barrer la route au sectarisme en Irak.
Au lieu d’une coalition militaire, j’aimerais entendre parler d’une coalition diplomatique pour faire pression sur qui de droit. Cela éviterait, en passant, de donner des armes à des alliés de circonstance qui, ensuite, retourneront ces armes contre nous.
Pourquoi ne pas relancer les négociations sur la situation complexe en Syrie. Au lieu de livrer des armes à une soit disant « opposition modérée », pourquoi ne pas envisager un embargo sur les armes pour toutes les parties au conflit.
Les Etats-Unis se lancent, comme à leur habitude, dans une opération militaire qu’ils ne peuvent pas gagner militairement. Cela ne veut pas dire qu’ils n’en tireront pas un profit stratégique. Mais c’est un profit pour les Etats-Unis uniquement, pas pour ses alliés qui de toute façon ne sont que des éléments d’un décor qu’il faut morceler au maximum pour empêcher la naissance d’une force capable de porter la violence sur le territoire américain.
Leur position, aussi cynique qu’elle soit n’est pas dépourvue d’un épouvantable logique. Mais ou est l’intérêt de la France dans tout cela ? Le président Hollande a reçu la mission sacrée de protéger la France et le peuple français. On ne badine pas avec de tels enjeux qui dépassent largement ces mensonges de campagne oubliés aussitôt que prononcés. La France était déjà engagée sur trois fronts, était-il besoin d’en ajouter un autre. Etait-il besoin pour le plaisir de jouer le rôle de je ne sais quel « matamore » de mettre la France en tête des listes de pays menacés par le terrorisme ? On ne parle plus là de déficits à contenir, on parle de la vie des Français.
Je laisserai le dernier mot à un général américain (eh oui…), le Général Butler qui observait, c’est une citation reprise d’un article de Noam Chomski au mois d’août :  « C’est un miracle que nous ayons échappé à la destruction jusqu’à maintenant, mais plus on tente le sort, moins on peut compter sur intervention divine pour prolonger ce miracle ».