La chancelière allemande
s’est donc rendue à Kiev où elle a rencontré le président Poroshenko et le
premier ministre Yatseniouk (celui que Mme Nuland appelle familièrement
« Yats »).
La plus grande partie des
discussions a eu lieu loin des journalistes. On ne peut donc que s’en remettre
à la déclaration liminaire de M. Poroshenko et à ce qui a été dit lors de la
conférence de presse.
Le président ukrainien a
présenté Mme. Merkel comme une amie de l’Ukraine et son meilleur avocat en
Europe, précisant que, ce deux derniers mois ils avaient eu plus de vingt
contacts directs.
Lors de la conférence de
presse, Mme. Merkel a déclaré que le sujet principal de cette rencontre était
la paix dans le sud et l’est du pays ainsi que la reconstruction. Une réunion
des amis de l’Ukraine (tiens l’expression nous rappelle quelque chose) aura
lieu en septembre au cours de laquelle les partenaires européens annonceront un
soutien financier. Certains confrères appellent déjà cela le « plan
Merkel ». La chancelière a parlé d’une enveloppe de 500 millions d’euros.
On se souvient que M. Yatseniouk avait, lui, placé la barre plus haut à huit
milliards d’euros.
En ce qui concerne la
paix, Mme. Merkel a annoncé qu’elle soutenait les négociations de Minsk mardi
prochain au cours desquelles M. Poroshenko va présenter son plan de paix
traitant des questions de décentralisation, d’amnistie, de reconstruction des
infrastructures et de certaines garanties sociales non précisées. Le président
ukrainien doit également parler des relations économiques entre l’Ukraine,
l’Union Européenne et l’Union Economique Eurasiatique. Ce sera sans doute le sujet
le moins délicat, car la simple liste des différents points du plan de paix
ressemble beaucoup plus à une liste de problèmes épineux qu’à une liste de
solutions. Le démarrage de ce plan posera de grosses difficultés et sa mise en
œuvre prendra énormément de temps à supposer que Kiev et le Dombass arrivent à
un accord de principe, ce qui ne sera pas simple.
D’autant que nous avons
vu comment M. Poroshenko, soutenu par ses parrains américains, concevait la
mise en œuvre de ses idées dans le Dombass et la « souplesse » dont
il était capable dans les négociations.
Mais pour Mme. Merkel, il
n’y a pas de problèmes, ou presque. L’Ukraine doit seulement retrouver la
maîtrise de sa frontière afin que les armes ne puissent plus la traverser.
« Nous avons parlé de la question de la langue russe, et ce n’est pas un
problème. Nous avons parlé d’identité nationale et il n’y a pas de problème non
plus. Ce que nous appelons fédéralisation, ici, on l’appelle décentralisation,
mais c’est la même chose ». Bien sûr, sauf que le président ukrainien
devait ensuite préciser que la fédéralisation n’avait aucun sens dans la
situation ukrainienne actuelle.
De son côté, le
vice-chancelier allemand M. Sigmar Gabriel a été plus précis dans une interview
au “Welt am Sonntag” : "On peut préserver l'intégrité territoriale de
l'Ukraine uniquement si on fait une proposition aux régions à majorité russophone.
Le concept raisonnable de fédéralisation me paraît la seule solution
possible". Comprenne qui pourra.
Enfin, comme il ne faut
pas désespérer Washington qui a déjà bien des soucis par ailleurs, Mme. Merkel
a repris le refrain habituel en ce qui concerne les sanctions : « (…)
de nouvelles sanctions contre la Russie ne sont pas la question principale mais
sont une possibilité si la situation en Ukraine empire. » Elle n’a pas non
plus oublié de préciser que la reconnaissance du rattachement de la Crimée à la
Russie serait un danger pour l’Europe qui pourrait se trouver face à des
revendications similaires dans plusieurs pays européens.
Voilà pour le festival
officiel. Voyons maintenant du côté du festival « off » comme on dit
à Avignon. Commençons par la presse ukrainienne. On peut y lire, après cette
visite tombant à une date symbolique, la veille de la fête de l’indépendance de
l’Ukraine, des commentaires très optimistes. Mme. Merkel est venue promettre
plein de bonnes choses. On retrouve le type d’enthousiasme irréel de la
première période de Maïdan quand l’Europe était décrite comme un paradis auquel
une grande partie de la population croyait. Je citerai, à titre d’exemple, ces
articles ukrainiens qui annoncent que l’Allemagne a accepté de payer des dommages
de guerre à l’Ukraine pour compenser les morts et les destructions des deux
guerres mondiales. Certains citent le chiffre de mille milliards de grivna (environ
56 milliards d’euros au dernier cours disponible). On parle même d’un plan de
paiement conclu lors de cette visite.
Dans un registre plus
sérieux, que pouvons-nous tirer de ce que nous avons vu et entendu, ou plutôt
de ce que nous n’avons pas entendu. Toutes les déclarations officielles avaient
le caractère convenu auquel nous sommes habitués.
Qu’est-ce que Mme. Merkel
est venue faire à Kiev ? Comme je le mentionnais dans un article
précédent, cette visite est un cadeau diplomatique qui doit comporter des
contreparties. Elle a lieu juste avant la rencontre de Minsk ou M. Poroshenko
va rencontrer M. Poutine. Je pense que le gros de la discussion a été, de la
part de Mme. Merkel, un recadrage sérieux du président ukrainien.
Ce dernier a bénéficié
depuis plusieurs mois d’un soutien quasi sans failles de la part des Etats-Unis
et de l’Europe. Il est probable que l’ampleur de ce soutien lui a fait perdre
le sens des réalités et la chancelière est, à mon avis, venue lui rappeler ces
réalités.
On se souvient de
l’épisode de l’agression géorgienne de l’Ossétie du Sud qui a provoqué la
réaction militaire de la Russie en août 2008. Comment la Géorgie pouvait-elle
imaginer qu’elle pouvait ainsi provoquer la Russie sans en subir de
conséquences négatives ? Le président Saakashvili avait bénéficié aussi
d’un fort soutien américain et se croyait protégé par son puissant ami. Il
n’avait pas réalisé que ce soutien, comme celui apporté maintenant à l’Ukraine
ne lui était pas vraiment destiné, mais était destiné à servir les intérêts
géostratégiques américains. Quand il a attaqué, les Etats-Unis n’ont pas
réagit, mais se sont trouvés dans une situation politiquement extrêmement
désagréable. On ne veut pas renouveler l’expérience avec l’Ukraine. Il faut
donc remettre son président à sa vraie place.
Mme. Merkel lui a donc
vraisemblablement expliqué comment il devait se conduire à Minsk avec l’aide
(ou sous le contrôle ?) des représentant de l’Europe. M. Poroshenko n’est
pas un homme politique, encore moins un homme d’état. C’est un oligarque dont
la fortune se trouve dans des banques qui ne sont pas hors de portée de sanctions
internationales. Il est donc vraisemblable qu’il agira « comme il
faut ». Mais les événements récents en Ukraine montrent qu’il n’était pas
mauvais de prendre la peine de le lui rappeler.
Car si, officiellement,
il était question évidemment de la paix dans le sud du pays, la grande question
qui préoccupe l’Europe, c’est le gaz. Or n’a-t-on pas mentionné récemment à
Kiev, la possibilité de couper le transit de gaz à travers l’Ukraine, à titre
de sanction contre la Russie ? La simple mention de ce genre d’action a de
quoi inquiéter sérieusement les « protecteurs » de l’Ukraine. Elle a,
en tout cas, fait monter la fièvre sur le marché spot du gaz…
Que peut-on enfin
attendre du côté russe ? Pour le Kremlin, la solution du problème
ukrainien a déjà été négociée et un accord a été approuvé à Genève par les
parties concernées. Je ne crois pas que la partie russe soit prête, dans la
situation actuelle à revenir sur cet accord. Ceux qui se demandent encore
« ce que veut la Russie » ne font pas montre de curiosité mais
d’incompréhension. D’autre part, mes contacts fréquents avec des confrères
russes me laissent à penser que la position russe a changé sérieusement ces
dernières semaines. Ce qui m’inquiète, c’est que les parties américaine et
européenne ne semblent pas avoir noté ce changement ou aient simplement décidé
de l’ignorer.
Deux évènements révèlent
à mon avis très bien ce changement d’orientation de la politique russe mais
aussi de l’opinion publique.
Le premier est
l’imposition de contre-sanctions. On connaît l’embargo décidé sur les produits
agro-alimentaires. Ce qui me frappe, c’est le temps que la Russie a mis à
réagir. On nous a dit qu’il fallait réfléchir mûrement avant de prendre ce
genre de décision. Mais le temps de la réflexion a été bien long. C’est sans
doute parce que les sanctions européennes on vraiment eu un gros impact sur la
Russie sur le plan psychologique. Tout le monde à Moscou avait intégré l’idée
que les Etats-Unis n’était plus un partenaire comme on l’avait cru pendant une
dizaine d’années, mais un adversaire, les sanctions américaines n’ont donc pas
été une surprise.
Mais le gouvernement
russe et l’opinion publique ont continué longtemps à voir l’Europe comme un
partenaire, voir même comme des pays amis pour certains d’entre eux,
l’Allemagne en particulier. Les sanctions européennes ont donc été un gros choc
psychologique. D’autant que d’une part, on ne voyait pas la logique de cette
décision puisque ce sont les Etats-Unis qui ont organisé les évènements
ukrainiens avec le soutien de l’Europe et, d’autre part, on savait bien que
l’Europe a beaucoup à perdre dans une lutte de sanctions, beaucoup plus que les
Etats-Unis.
Il donc a fallu du temps
pour intégrer cette nouvelle dimension, c’est pourquoi la réflexion a été si
longue. Mais le simple fait que la Russie ait finalement décidé des
contre-sanctions visant l’Europe est la preuve que cette nouvelle dimension des
relations est maintenant intégrée. Comme le faisait remarquer récemment le
politologue russe Fedor Loukianov, « Depuis le milieu des années 1980, notre
politique étrangère était fondée sur le rapprochement avec l’Occident, en dépit
des diverses épreuves qu’il nous a fallu surmonter en conséquence. (…) Au début,
c’était un rêve, mais après un certain temps, l’idée s’est largement répandue
qu’il s’agissait d’une «nécessité». Aujourd’hui, à l’inverse, le gouvernement
russe déclare que le maintien de relations privilégiées avec l’Occident n’est
pas si indispensable, et que sur certains sujets, nous devons agir depuis le
seul point de vue de nos intérêts nationaux. »
Une fois ce virage pris,
la signification des sanctions a changé pour la Russie. Etant donné le
patriotisme russe, cette capacité à traverser les épreuves dont le pays a fait
la preuve tout au long de son histoire et sa patience, je ne pense pas que de
nouvelles sanctions le feront plier, bien au contraire, cela ne fera que
renforcer sa résistance.
Le deuxième élément est
l’opération humanitaire russe pour le Dombass. Personne ne s’est évidemment
opposé ouvertement au principe d’un convoi humanitaire. Comment le pourrait-on.
Mais on a fait ce que l’on pouvait pour empêcher une intervention russe sur ce
terrain. Côté américain, on a fait « dans la légèreté », comme
d’habitude et le porte parole du département d’état a déclaré :
« Aujourd’hui, en violation de ses engagements et du droit international,
des véhicules militaires russes peints de façon a ressembler à des véhicules
civils sont entrés de force en Ukraine. »
De son côté, Kiev a tout
fait pour bloquer ce convoi, préférant évidemment maintenir la situation
humanitaire désespérée dans l’espoir d’une victoire prochaine sur la rébellion.
Après une semaine de tergiversations administratives, le dernier argument
utilisé a été « vous ne pouvez pas accéder à Lougansk en raison des
bombardements qui y ont lieu. » Mais justement, c’est Kiev qui bombardait…
Malgré cela, le ministère
russe des affaires étrangères a annoncé en fin de semaine dernière que le
convoi entrerait en Ukraine, ajoutant, « nous mettons en garde contre toute
tentative de contrecarrer cette mission purement humanitaire qui a nécessité
une longue préparation dans des conditions de transparence complète et de
coopération avec la partie ukrainienne et le Comité International de la Croix
Rouge. Ceux qui seraient décidés à continuer de sacrifier des vies humaines à
leur propre ambition et à leurs projets géopolitiques et qui foulent
grossièrement au pied les normes et principes du droit humanitaire
international assumeront totalement les conséquences de provocations contre ce
convoi d’aide humanitaire. »
La menace est à peine
voilée et les parties concernées clairement définies. Qui donc, en effet
peut-on accuser d’avoir des « projets géopolitiques » en Ukraine ? A
mon avis, cette déclaration du ministère signifie deux choses. La première est
que le point de non retour est presque atteint. La seconde est que la Russie a
pris la décision de répliquer par tous les moyens, y compris militaires à une
poursuite de la situation actuelle.
D’un côté, Mme. Merkel
dit « de nouvelles sanctions sont possibles », de l’autre, la Russie
dit « une intervention militaire est possible ». L’épisode du convoi
humanitaire est la preuve que Moscou peut intervenir dans le sud de l’Ukraine
avec ou sans l’accord des occidentaux dont le statut est passé de
« partenaires » à « adversaires ». La situation est
maintenant explosive et il ne faudrait pas laisser les Ukrainiens jouer avec
des allumettes sous prétexte que les Etats-Unis les protègent…
Ne pas oublier le rôle énorme de la Pologne, qui non seulement a mis ses bases à disposition pour l'entrainement des émeutiers, mais qui pousse au crime à l'excès actuellement.
RépondreSupprimerIls veulent une revanche sur les Russes en s'appuyant sur l'Otan, et se croient à l'abri ces c.ns