mercredi 10 septembre 2014

L’Europe entre en guerre contre la Russie


Depuis le début de la crise ukrainienne, les rôles respectifs des Etats-Unis et de l’Union Européenne ont fait l’objet d’analyses les plus diverses, chacun s’accordant cependant pour dire que les Américains étaient nettement en pointe, les Européens suivant avec réserve et freinant le plus possible.
L’objectif des Etats-Unis était clairement de faire entrer l’Ukraine dans le giron de l’Europe, d’abord, puis de l’Otan, bouclant ainsi le mouvement vers l’est et l’encerclement de la Russie. Après la première série d’adhésions en 1999 (République Tchèque, Hongrie et Pologne), la seconde en 2004 (Bulgarie, Pays Baltes, Roumanie, Slovaquie et Slovénie), la troisième en 2009 (Albanie et Croatie), se préparait donc une quatrième étape, de taille, celle-là, l’adhésion de l’Ukraine, avant peut-être, celle de la Géorgie ce qui complèterait l’encerclement de la Russie par l’Otan.
En 1998, George Kennan, le père de la politique américaine de « containment » de l’Urss, en 1947, expliquait dans une interview donnée à Thomas Friedman du New York Times à propos de l’élargissement de l’Otan à l’Est : « C’est une erreur tragique. Il n’y avait absolument aucune raison de faire cela. Personne ne menaçait personne. Cet élargissement doit avoir fait se retourner dans leur tombe les pères fondateurs de ce pays. Nous avons signé pour la défense d’une série de pays, alors que nous n’avons ni les moyens ni la volonté de le faire sérieusement. (…) Et la démocratie russe est aussi avancée, sinon plus avancée qu’aucun des pays que nous venons juste de nous engager à défendre contre la Russie. »
Et Thomas Friedman de nommer ceux qui, à son avis, sont responsables de cette suite d’erreurs, Bill Clinton, William Cohen, Madeleine Albright, Sandy Berger, Trent Lott et Joe Lieberman.
Suivant une méthode maintenant bien ancrée dans les habitudes de Washington, tout effort diplomatique était rejeté. Le « pays indispensable » est dépositaire de la vérité, une vérité non négociable. Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous. Dans le second cas, nous vous appliquerons des sanctions.
Les pays ainsi sanctionnés ne manquent pas dans le monde. Il y a cependant deux remarques importantes à faire. La première est que les sanctions n’on jamais vraiment fonctionné. La seconde est que les victimes précédentes étaient des pays d’une taille bien inférieure à celle de la Russie (Irak ou Iran, par exemple). Mais qu’à cela ne tienne, les Etats-Unis semblent atteints par une forme sérieuse de la folie telle que la définissait Albert Einstein : « Faire continuellement la même chose en espérant à chaque fois obtenir un résultat différent ».
La position géographique et les relations commerciales des Etats-Unis et de la Russie mettent les premiers à l’abris de conséquences négatives de ces sanctions ou de mesures de rétorsion russes. Ce n’est pas le cas de l’Europe. Il était donc surprenant que les pays européens suivent le mouvement, même avec lenteur, même en rechignant ostensiblement. L’Allemagne, en particulier semble exposée. La réponse donnée jusqu’à présent par la Russie aurait aussi de quoi calmer le zèle de pays comme la Pologne ou les pays Baltes qui exportaient beaucoup de produits alimentaires vers la Russie.
Malgré tout, leur position reste inchangée. Jusque là, je dois dire que je me sentais un peu surpris par leur comportement. En particulier par celui de l’Allemagne de Mme. Merkel.
D’autant qu’il est hautement peu probable que la Russie cède aux sanctions. La population fait bloc derrière son président (à 83%) et le pays a une longue histoire de résistance acharnée quelques soient les épreuves. Et il en a subit de pires. En effet, tout le monde ne pense pas que la Russie doivent souffrir énormément des diverses vagues de sanctions.
Au contraire, les effets négatifs des sanctions sur l’économie russe seront variables et, sans doute (mais c’est à vérifier) moins importants que les effets négatifs sur les économies européennes. Je vois et j’entends partout dans les médias européens que les sanctions vont faire mal à la Russie car son économie est déjà au bord de la récession. C’est peut-être vrai, mais qu’en est-il des économies des pays européens ? Elles ne vont pas mieux et la marge d’évolution semble moins grande qu’en Russie. Car, en effet, comment les Russes ont-ils réagit dans un premier temps ? Ils ont profité de l’occasion pour imposer des mesures protectionnistes pour leur secteur agro-alimentaire. Comme le remarque Jacques Sapir, un bon connaisseur de l’économie russe : « En fait, on constate que le gouvernement russe a saisi l’occasion qui lui a été fournie par les sanctions pour prendre des mesures dont l’effet sur l’économie russe pourrait s’avérer positif. »
Pour M. Sapir, « De ce point de vue, le changement de modèle de développement n’est pas une simple réaction au changement géopolitique, mais ce changement a été utilisé pour mettre en œuvre un changement qui était à l’ordre du jour depuis la fin de 2012. Ce changement devrait aboutir à faire émerger un modèle de développement de la Russie qui serait beaucoup plus autocentré que ce qu’il est actuellement, et tourné de manière bien plus décisive sur la construction d’une industrie innovante. »
On ne peut pas pour autant parler d’effets bénéfiques à court terme et l’économie russe va souffrir du régime de sanctions. Mais à moyen terme, l’occident lui a donné une sérieuse motivation pour faire enfin les changements économiques et financiers dont le pays a besoin pour passer d’une économie de fournisseur de matière premières à une économie moderne et équilibrée.
Cela sera également favorisé par le fait que « désormais le « bassin Atlantique » (les Etats-Unis, le Canada et l’Europe occidentale) ne concentre plus l’essentiels des techniques et technologies de production. Le possible éloignement de la Russie pourrait ne pas se traduire par un isolement mais par un basculement vers des relations avec d’autres pays » (Jacques Sapir).
Les pays européens ne peuvent pas ignorer cela, même si certains de leurs dirigeants ont fait preuve récemment d’une vivacité d’esprit et d’une imagination très en dessous de la moyenne. Ce qui me ramène à mon questionnement initial, comment expliquer le comportement de l’Allemagne de Mme. Merkel ? Emmanuel Todd, dans une interview à Olivier Berruyer publiée par le site “Les Crisesouvre des pistes de réflexion intéressantes, mais qui m’ont tout de même un peu laissé sur ma “faim”.
J’en parlais donc ce matin avec deux «  collègues et néanmoins amis » russes qui me tenaient le raisonnement suivant. En ce qui concerne le nouveau « train de sanctions », elle seront presque certainement appliquées. En effet, les lier au respect du cessez-le-feu est une invitation à la partie ukrainienne de violer ce cessez-le-feu. La violation pourrait d’ailleurs ne pas venir de M. Poroshenko, mais des milices qui ne sont pas sous sont contrôle, mais sous celui de personnes qui ont un intérêt personnel à faire durer la guerre.
Quand Mme. Merkel exige que les douze points de l’accord de Minsk soient tous respectés, avant le début de nouvelles négociations, elle ne peut pas ne pas savoir qu’il s’agit d’une mission impossible. Non seulement beaucoup de ces douze points sont apparemment irréalisables, mais en plus, leur réalisation ne dépend pas de Moscou, mais de Kiev.
Cela fait bientôt un an que les Etats-Unis ont essayé d’affaiblir le pouvoir de M. Poutine à l’intérieur afin de bloquer l’intégration eurasiatique dont il est le champion. Sa réaction à l’agression de l’Ukraine et le rapprochement de la Russie avec la Chine, l’Inde[1] et le Brésil ont rendu Washington fou.
C’est pourquoi Washington est maintenant passé à un niveau de sanctions beaucoup plus sérieux. Pour les Russes (en tout cas mes interlocuteurs de ce matin), l’objectif n’est plus de bloquer mais de détruire l ‘économie de la Russie. Avec deux conséquences recherchées par les américains, l’affaiblissement de l’ennemi russe et celui de l’économie européenne. Le premier objectif risque d’être atteint à court terme, mais on a déjà vu qu’il provoque une réaction qui pourrait saper à terme l’hégémonie du dollar dans les échanges internationaux. D’autant que la volonté russe de s’émanciper du dollars dans ses échanges internationaux rencontre un désir équivalent chez certains de ses partenaires importants.
Le deuxième objectif sera aussi atteint à terme et il permettra aux Etats-Unis de se poser en recours et d’imposer leur traité transatlantique, dont la population européenne, sinon ses dirigeants, se méfient énormément. Le retour de bâton, dans ce cas pourrait être un réveil de ces populations européennes qui commencent à accepter de moins en moins bien la gestion non démocratique de l’oligarchie qui gouverne l’Europe.
Alors, disait un de mes interlocuteurs de ce matin, dans un élan d’enthousiasme, peut-être que l’Europe imposera des sanctions aux Etats-Unis. En ce qui me concerne, je n’en demande pas tant. Mais je regrette sincèrement que devant le choix qui lui était imposé, Mme. Merkel ait choisi l’atlantisme et la soumission au lieu de saisir l’occasion exceptionnelle d’exister vraiment et de faire exister l’Europe dans une position d’équilibre entre les Etats-Unis et la Russie.


[1] A ce propos, M. Hollande croit-il vraiment pouvoir vendre des Rafales en Inde s’il ne livre pas les Mistrals à la Russie ?

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