dimanche 14 septembre 2014

Silence, on sanctionne !


Deux évènements récents ont à nouveau mis en évidence la pauvreté intellectuelle du débat en France. Peut-être devrait-on plutôt dire l’absence de débat dont les médias papier et leurs appendices électroniques se sont fait les champions.
Le 1er septembre, M. Narychkine, président de la Douma (le parlement russe) était à Paris, accompagné de deux parlementaires russes. Il a reçu, à la résidence de l’Ambassadeur de Russie, un certain nombre de députés et sénateurs français ainsi que des chefs de grandes entreprises.
Le journal « La Croix » a donné le ton des réactions sous ce titre : « Quand une dizaine de parlementaires français affichent leur « Poutinophilie » à Paris ». Et d’expliquer que l’on ne doit pas parler à des représentant du méchant M. Poutine. Il ne s’agit en l’occurrence pas de représentants de M. Poutine, mais de représentants du peuple russe. Mais surtout, depuis quand un citoyen français n’aurait pas le droit de rencontrer des citoyens d’autres pays avec lesquels la France n’est pas (au moins officiellement) en guerre.
S’agirait-t-il d’un intérêt supérieur de la nation ? Le président d’une association qui a l’humour de mettre le mot « liberté » dans son nom, explique que « C’est la crédibilité de l’action de la France et de l’UE qui est atteinte lorsque des parlementaires français participent à une rencontre de ce genre ». Donc, si je comprends bien, « silence dans les rangs et je ne veux voir qu’une seule tête ! » En voilà une curieuse conception de la « liberté ».
Aucun des journaux qui publient cette nouvelle n’omet d’expliquer que M. Narichkine fait l’objet de sanctions personnelles qui l’empêchent d’entrer sur le territoire européen (et donc français). Que les âmes sensibles se rassurent, il ne s’agit pas d’un sursaut de dignité français. Interrogé par « La Croix », le quai d’Orsay a fait savoir : « Sergueï Narychkine était invité par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à une réunion à Paris. C’est donc en application d’une obligation de droit international applicable à tout pays siège d’une organisation internationale (en l’occurrence le Conseil de l’Europe) que nous avons autorisé la présence sur le territoire national de M. Narychkine. Aucun entretien avec des représentants officiels du gouvernement français n’a eu lieu ». Nous voilà rassurés, aucun représentant officiel du gouvernement français n’a eu d’entretien avec les parlementaires russes. On ne sait jamais, en se parlant, ils risquaient de se comprendre…
Deuxième événement, la visite en Russie de quatorze parlementaires français représentant les principaux partis de l’assemblée. Cette visite a été organisée par l’association « Dialogue Franco-Russe », une association créée en 2004 sous le patronage des présidents de l’époque, MM. Chirac et Poutine, à une époque où on se parlait encore. Le co-président français de l’association, M. Thierry Mariani, à l’origine de cette initiative menait la délégation.
Les parlementaires ont été reçus à la Douma, au Conseil de la Fédération et par le président de l’Administration Présidentielle, M. Ivanov. L’objectif du voyage était de faire dialoguer des responsables politiques, ce que fait le « Dialogue Franco-Russe » non seulement dans le domaine politique, mais aussi dans différents domaines comme les affaires ou la culture.
Seulement voilà, dialoguer, chercher à se comprendre sont des activités aujourd’hui sinon répréhensible, en tout cas extrêmement suspectes. Les pays occidentaux, dans leur « grande sagesse » (toute neuve, elle date environ de 1991) ne dialoguent plus, ne négocient plus, ils prennent des positions qui sont forcément bonnes et doivent donc être acceptées sans discussion[1].
Ainsi, le journal « Le Figaro » explique à propos de ce voyage : « une quinzaine de parlementaires français ont choisi d'exprimer leur soutien à Vladimir Poutine en se rendant dans la capitale russe.” Lesquels parlementaires sont devenus, dans le titre de l’article « Un groupe de parlementaires français prorusses en visite à Moscou ». Il y a une terrible, une affreuse logique dans tout cela. En effet dans un monde où on ne dialogue plus, où on ne parle plus, où on ne négocie plus, visiter la Russie et rencontrer des parlementaires russes ne peut être qu’une marque de soutien. Sinon, ils n’y seraient pas allés, bien sûr.
L’hebdomadaire « L’Express » n’est pas en reste qui titre : « 14 parlementaires français à Moscou pour soutenir la Russie ».
Un tel comportement est indigne d’une personne responsable et plus encore d’un responsable politique. Mais c’est malheureusement la mode à presque tous les niveaux de notre société. On ne parle plus, on ne négocie plus, on cloue au pilori. « Si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi » et, dans les deux cas, d’ailleurs, on ne se parle pas, car « si vous êtes avec moi », vous n’avez pas besoin d’explications, votre choix est fait et je ne supporte aucune critique. Les relations humaines à leur plus bas niveau, celui des pulsions et des instincts.
Je sais, se parler ne veut pas forcément dire se comprendre. Mais ne pas se parler augmente très largement le risque de parvenir à ce résultat. On remplace la discussion par la violence d’une position non négociable. Je me souviens d’une de mes professeurs à la fac de philosophie qui aimait répéter que « l’usage de la violence est une marque de faiblesse ».


[1] Je reviendrai sur cette tendance dans mon prochain article : “la Fin de la Diplomatie”

1 commentaire:

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    Ambassade de Russie en France
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