C’est à Milan qu’a eu
lieu, en fin de semaine dernière le défilé des dirigeants européens pour la
traditionnelle rencontre avec leurs homologues asiatiques. Mais c’est une autre
rencontre qui a éclipsé ce sommet, celle entre MM. Poutine, Poroshenko,
Hollande et Mme. Merkel à propos de la crise ukrainienne ; le « format
normand » comme l’ont appelé des confrères en mal d’imagination, par
référence à la rencontre qui avait eu lieu lors de la commémoration du
débarquement en Normandie.
Que s’est-il passé à
Milan ? Si j’analyse tout ce que j’ai pu lire ou entendre de différentes
sources, pas grand-chose. Et pourtant les commentaires étaient plutôt positifs.
L’inénarrable M. Von Rumpuy a carrément parlé de progrès, car selon lui, M. Poutine
aurait déclaré qu’il ne voulait pas que la crise ukrainienne se transforme en
« conflit gelé ». On mesurera la profondeur de cette analyse de la
part du futur ex-président du Conseil européen en imaginant que M. Poutine ait
pu déclarer le contraire…
Le président français a
déclaré, lui, que l’on n’avait jamais été si près d’une accord sur le gaz entre
l’Ukraine et la Russie. Une telle déclaration n’engage à rien, à vrai dire, et
ne donne aucune indication sur la réalité de la négociation.
Pour le président
Poroshenko, « nous nous somme mis d’accord sur les paramètres d’un
règlement du problème gazier ». Quels sont ces paramètres ? Mystère.
Le plus difficile sera certainement de trouver un niveau acceptable par les
deux parties, sur ces paramètres. C’est quasi exactement la position dans
laquelle se trouvaient les deux pays avant cette rencontre.
Tout le monde, du côté
européen et ukrainien semblait d’accord pour adopter une position optimiste
complètement surréaliste. En réalité, les Européens donnent l’impression de
réaliser dans quel guêpier ils se sont mis sous la pression américaine relayée
par leur collègue allemande et préfèrent actuellement se réfugier dans ce monde
virtuel qui leur va si bien. Ce monde dans lequel il suffit de donner
l’impression de faire quelque chose pour que cela donne l’impression de se
faire. Mais tôt ou tard, il faudra de nouveau atterrir dans le monde réel et
là, l’atterrissage sera dur.
A sa sortie des
discussions, M. Poutine souriant a seulement déclaré que tout allait bien. Sans
préciser si tout allait bien pour lui, la Russie, l’Europe, l’Ukraine ou les
négociations en général. J’ai, évidemment, ma petite idée là dessus. Le
président russe se sait responsable de la Russie et de ses citoyens, il est
donc clair pour moi à qui il faisait allusion. Il n’a pas fait d’autres commentaires,
mais nous apprenions plus tard que la Russie était disposée a accorder une
ristourne de 100 dollars par mille mètre cubes pour le gaz livré en 2014, au
prix de 385 dollars. Un tel prix ferai baisser la dette de l’Ukraine vis à vis
de Gazprom de 5,5 à 4,5 milliards de dollars. Mais dans le même temps, il
renvoyait le problème ukrainien à l’Union Européenne en déclarant qu’en tout
état de cause, la Russie ne livrerait pas de gaz à l’Ukraine à crédit, et que
l’Europe devrait aider l’Ukraine à payer ses dettes gazières.
Je n’ai pas encore
entendu mes confrères occidentaux crier à « l’affreux chantage » de
Moscou. Peut-être en sont ils retenu par les déclarations du ministre polonais
de l'Economie M. Janusz Piechocinski à propos du désir ukrainien de recevoir du
charbon polonais gratuitement. Le président du sénat polonais, M. Bogdan
Borusewicz, en visite à Kiev le 10 octobre dernier avait indiqué que son pays
était prêt à livrer du charbon à l’Ukraine. "Nous devrions discuter de la
possibilité d'exporter, car l'Ukraine souffre d'un déficit de charbon, alors
que la Pologne en possède beaucoup". Il avait parlé de la possibilité de
vendre 10 millions de tonnes de charbon. Mais quelques jours plus tard, l’Ukraine
avait annoncé qu’elle jugeait normal que ce charbon lui soit livré pratiquement
gratuitement. M. Piechocinski avait alors évoqué la « surprise et une
sorte de mépris face à cette position ukrainienne ».
De son côté, le porte
parole du président russe, M. Dmitri Peskov n’a pu s’empêcher d’ironiser sur
« l'inconséquence de la Pologne qui n'est pas prête à fournir gratuitement
du charbon à l'Ukraine, mais désapprouve la position de la Russie sur ses
livraisons de gaz à Kiev »…
Comme si tout cela ne suffisait
pas, le chef de la diplomatie ukrainienne M. Pavel Klimkine a déclaré, samedi,
dans une interview à l’hebdomadaire allemand « Wirtschaftswoche » que
les 30 milliards de dollars d’aide promis par l’Europe ne suffiraient pas,
« les mesures de stabilisation macroéconomique traînant en longueur ».
C’est pourquoi je demande
à Madame la chancelière allemande qui se comporte depuis de nombreux mois comme
le chef de l’Europe, aussi bien dans le domaine économique que dans celui,
politique, des sanctions contre la Russie : "où allons-nous, Mme.
Merkel ?"
La chancelière allemande
a développé ces derniers mois une habitude de faire pression sur ses
partenaires européens pour obtenir ce qu’elle voulait. Comme, en général, cela
marche, elle imagine pouvoir faire la même chose avec M. Poutine. C’est sans
doute pour cela qu’elle est à l’origine de ce petit déjeuner organisé samedi
matin. Mais le président russe est d’un autre calibre que les présidents
européens. Il n’est donc pas étonnant que Mme. Merkel ait eu son air des
mauvais jours en sortant de ce petit déjeuner.
On la comprend ! Sa
position commence à être pour le moins inconfortable. L’économie européenne ne
se porte pas bien et ses partenaires commencent à accuser de façon de moins en
moins discrète la politique de rigueur imposée par l’Allemagne. Les sanctions
contre la Russie n’ont rien fait pour améliorer la situation économique.
Mais comment aller contre
la volonté de l’allié américain ? Et il faudrait également affronter les
politiciens pro-atlantiques de son parti. La solution serait évidemment que M.
Poutine cède sur toute la ligne, mais Mme. Merkel a certainement compris,
maintenant, que cela ne se fera pas. Si elle avait encore besoin d’en être
convaincu, le retard de plus de trois heures imposé par le président russe à
leur rencontre vendredi soir et sa remarque sur ce que devrait faire l’Europe
pour aider l’Ukraine à payer son gaz, seraient des preuves plus que suffisantes.
Au contraire, le
président russe a déclaré, avant de quitter Milan, que la Russie ne fournirait
pas de gaz à l’Ukraine à crédit et que c’était son dernier mot. Souvenons nous
qu’avant de quitter Moscou, il avait annoncé l’intention de Gazprom de diminuer
les quantités de gaz expédiées dans les gazoduc si l’Ukraine continuait à voler
le gaz destiné aux clients européens. Une telle pratique est facile à
contrôler, il y a des compteurs à l’entrée de l’Ukraine, côté russe et à la
sortie, côté européen. Une telle méthode avait été utilisée en 2009. Elle
pourrait l’être à nouveau ce qui se traduirait tôt ou tard par une coupure des
exportations de gaz russe via les gazoducs ukrainiens. Le message de M. Poutine
est clair : « Européens, faites pression sur vos nouveaux amis pour
qu’ils se comportent correctement ».
Mais nous avons eu
maintes fois l’occasion de constater que les dirigeants ukrainiens sont
imprévisibles et incontrôlable. Quelle confiance accorder à un président
Poroshenko qui déclare à Milan que tout ou presque est réglé (« nous
sommes d’accords sur les paramètres ») avant de déclarer, en fin de
journée, que rien n’est réglé ? Et quel est le pouvoir réel de l’actuel
président ukrainien. Son premier ministre M. Yatseniouk (« Yats ») a
été choisi par les Etats-Unis (on se souvient de la discussion téléphonique de
Mme. Nuland avec l’ambassadeur américain en Ukraine). D’ailleurs, au fait, que
faisait Mme. Nuland à Kiev la semaine dernière où elle a été reçue presque
comme un chef d’état ?
Et que se passe-t-il dans
le sud de l’Ukraine ? Les troupes gouvernementales ont été accusées d’exactions.
Dans le cas de charniers découverts il y a déjà plus d’un mois, aucune enquête
sérieuse n’a eu lieu. Maintenant, on accuse ces mêmes troupes d’avoir bombardé
Donetsk avec des bombes à sous-munitions. Bombarder des zones occupées par des
civils avec ce type de munition est considéré comme un crime de guerre. Cette
fois, c’est le « New York Times » qui accuse.
On peu reprocher énormément de choses à ce quotidien américain, mais pas d’être
« pro-russe », bien au contraire. Les opérations militaires dans le
sud de l’Ukraine commencent à apparaître pour ce qu’elles sont, une expédition
punitive. Alors, tout le monde veut croire au cessez-le-feu, donc on ne parle
pas, ou presque des violations journalières de ce même cessez-le-feu à Donetsk
ou sur l’aéroport de la ville chèrement disputé par les deux parties.
Qu’en sera-t-il
demain ? Si M. Poroshenko décide de la fin des opérations, M. Kolomoïski
acceptera-t-il ? Et les autres oligarques ukrainiens qui ont des positions
à défendre ? Et quid de la situation après les prochaines élections
législatives. M. Yatseniouk a créé un nouveau parti dans lequel il a de
nombreux partenaires de l’extrême droite ukrainienne. Ne pousseront-ils pas à
la reprise des combats pour, une fois pour toute, « pacifier »
(comprenez « nettoyer ») le Dombass. La Rada (parlement ukrainien) a
bien voté une loi de décentralisation concernant le Dombass, mais cette loi est
peu claire sur plusieurs points importants et, en plus, elle est valable trois
ans uniquement. Que se passera-t-il ensuite ? Les dirigeants des
républiques auto proclamées n’attendront pas si longtemps pour le savoir.
Quelle sera la réaction
des dirigeants ukrainiens quand ils comprendront que l’Europe ne va pas les
aider. Que tout ce qu’ils vont recevoir, ce sont des bonnes paroles mais pas
d’argent ? Qu’il devront supporter seuls le coût énorme de la reconstruction
du Dombass ? Vous étiez le soutien le plus fort du gouvernement Ukrainien,
vous étiez le seul chef d’état présent à l’inauguration du président
Poroshenko, alors je vous le demande : « où allons-nous Mme. Merkel ? »
La situation économique
de l’Union Européenne est plus que préoccupante. On parle maintenant de
déflation. Le chômage est au plus haut partout, sauf en Allemagne. En Grèce il
est de plus de 25%, comme en Espagne, ailleurs, comme en France, en Italie ou
au Portugal il reste désespérément supérieur à 10%.
Les bourses sont en
baisse, les taux d’intérêt auxquels des pays comme la Grèce doivent emprunter
pour refinancer leur dette sont en hausse (plus de 9% pour la Grèce, comment
son économie va-t-elle réagir ?).
D’un point de vue
politique, la situation de l’Union Européenne n’est pas meilleure. Même
« The Economist » titrait après les élections de mai dernier sur
l’Europe eurosceptique, (« The
Eurosceptic Union »), et expliquait dans l’article correspondant que
l’Europe était en train de devenir la tête de pont d’un mouvement
eurosceptique. De son côté, le président hongrois, M. Viktor Orban partait en
guerre contre la « démocratie libérale », ce qui est un comble pour
le président d’un pays qui fait partie d’une organisation basée précisément sur
la « démocratie libérale » (cf. article du Financial
Times du 30 juillet 2014). Tout ceci pousse les autorités de Bruxelles dans
une sorte de radicalisme qui se renforce à vue d’œil. Ce radicalisme que
beaucoup d’Européens reprochent maintenant à une Allemagne qui n’est tout de
même pas responsable de tout.
Mais la France, l’Italie
et la banque centrale européenne semblent s’être donné le mot pour mettre en
cause la politique d’austérité prônée par Berlin. On sait ce que l’on peut attendre
du président français qui n’est pas un modèle de courage dans ces situations,
surtout face à Mme. Merkel. M. Renzi, lui a appelé le FMI à la rescousse en
déclarant jeudi : « Comme l’a dit le FMI, nous devons nous concentrer
sur la croissance ». Un discours qui, évidemment, ne plaît pas à la
chancelière et au directeur de la banque centrale allemande, M. Jens Weidmann.
Ce sont sans doute ces divergences entre les partenaires qui ont ébranlé la
confiance des observateurs internationaux et provoqué les mouvements récents
sur le marché des capitaux. M. Weidmann semble maintenant un peu isolé au
conseil de la Banque Centrale Eurpéenne (BCE), mais il ne faut pas oublier
qu’il parle au nom d’une partie importante de l’opinion allemande et qu’il a
été longtemps le conseiller de Mme. Merkel.
Les perspectives
économiques de la zone euro ne sont pas encourageantes. Ainsi Jean Artus, dans
une note de conjoncture de la banque Natixis conclut par ces mots :
« L’impuissance, ou la lenteur des effets des politiques économiques dans
la zone euro est effectivement déprimante ».
L’euro lui-même est
également attaqué par un grand nombre d’économistes (pas tous d’extrême droite,
M. Moscovici !). Mais l’Allemagne est certainement le pays qui a le moins
à gagner de la disparition de l’euro. Alors, une fois encore, « où
allons-nous Mme. Merkel ? »
La crise ukrainienne a
mis en évidence une Union Européenne sans vision, sans politique commune, ni
dans le domaine international, ni dans le domaine économique. On nous dit
l’Europe c’est la paix. Ah oui ? Alors l’Ukraine ce n’est pas
l’Europe ? C’est ce que pourraient bien découvrir les Ukrainiens dans un
avenir très proche. Quant à l’Europe, survivra-t-elle à cette accumulation de
problèmes en apparence insolubles ?
L’Urss a disparu en moins
de trois jours…