mardi 21 octobre 2014

Où allons-nous Mme Merkel ?


C’est à Milan qu’a eu lieu, en fin de semaine dernière le défilé des dirigeants européens pour la traditionnelle rencontre avec leurs homologues asiatiques. Mais c’est une autre rencontre qui a éclipsé ce sommet, celle entre MM. Poutine, Poroshenko, Hollande et Mme. Merkel à propos de la crise ukrainienne ; le « format normand » comme l’ont appelé des confrères en mal d’imagination, par référence à la rencontre qui avait eu lieu lors de la commémoration du débarquement en Normandie.
Que s’est-il passé à Milan ? Si j’analyse tout ce que j’ai pu lire ou entendre de différentes sources, pas grand-chose. Et pourtant les commentaires étaient plutôt positifs. L’inénarrable M. Von Rumpuy a carrément parlé de progrès, car selon lui, M. Poutine aurait déclaré qu’il ne voulait pas que la crise ukrainienne se transforme en « conflit gelé ». On mesurera la profondeur de cette analyse de la part du futur ex-président du Conseil européen en imaginant que M. Poutine ait pu déclarer le contraire…
Le président français a déclaré, lui, que l’on n’avait jamais été si près d’une accord sur le gaz entre l’Ukraine et la Russie. Une telle déclaration n’engage à rien, à vrai dire, et ne donne aucune indication sur la réalité de la négociation.
Pour le président Poroshenko, « nous nous somme mis d’accord sur les paramètres d’un règlement du problème gazier ». Quels sont ces paramètres ? Mystère. Le plus difficile sera certainement de trouver un niveau acceptable par les deux parties, sur ces paramètres. C’est quasi exactement la position dans laquelle se trouvaient les deux pays avant cette rencontre.
Tout le monde, du côté européen et ukrainien semblait d’accord pour adopter une position optimiste complètement surréaliste. En réalité, les Européens donnent l’impression de réaliser dans quel guêpier ils se sont mis sous la pression américaine relayée par leur collègue allemande et préfèrent actuellement se réfugier dans ce monde virtuel qui leur va si bien. Ce monde dans lequel il suffit de donner l’impression de faire quelque chose pour que cela donne l’impression de se faire. Mais tôt ou tard, il faudra de nouveau atterrir dans le monde réel et là, l’atterrissage sera dur.
A sa sortie des discussions, M. Poutine souriant a seulement déclaré que tout allait bien. Sans préciser si tout allait bien pour lui, la Russie, l’Europe, l’Ukraine ou les négociations en général. J’ai, évidemment, ma petite idée là dessus. Le président russe se sait responsable de la Russie et de ses citoyens, il est donc clair pour moi à qui il faisait allusion. Il n’a pas fait d’autres commentaires, mais nous apprenions plus tard que la Russie était disposée a accorder une ristourne de 100 dollars par mille mètre cubes pour le gaz livré en 2014, au prix de 385 dollars. Un tel prix ferai baisser la dette de l’Ukraine vis à vis de Gazprom de 5,5 à 4,5 milliards de dollars. Mais dans le même temps, il renvoyait le problème ukrainien à l’Union Européenne en déclarant qu’en tout état de cause, la Russie ne livrerait pas de gaz à l’Ukraine à crédit, et que l’Europe devrait aider l’Ukraine à payer ses dettes gazières.
Je n’ai pas encore entendu mes confrères occidentaux crier à « l’affreux chantage » de Moscou. Peut-être en sont ils retenu par les déclarations du ministre polonais de l'Economie M. Janusz Piechocinski à propos du désir ukrainien de recevoir du charbon polonais gratuitement. Le président du sénat polonais, M. Bogdan Borusewicz, en visite à Kiev le 10 octobre dernier avait indiqué que son pays était prêt à livrer du charbon à l’Ukraine. "Nous devrions discuter de la possibilité d'exporter, car l'Ukraine souffre d'un déficit de charbon, alors que la Pologne en possède beaucoup". Il avait parlé de la possibilité de vendre 10 millions de tonnes de charbon. Mais quelques jours plus tard, l’Ukraine avait annoncé qu’elle jugeait normal que ce charbon lui soit livré pratiquement gratuitement. M. Piechocinski avait alors évoqué la « surprise et une sorte de mépris face à cette position ukrainienne ».
De son côté, le porte parole du président russe, M. Dmitri Peskov n’a pu s’empêcher d’ironiser sur « l'inconséquence de la Pologne qui n'est pas prête à fournir gratuitement du charbon à l'Ukraine, mais désapprouve la position de la Russie sur ses livraisons de gaz à Kiev »…
Comme si tout cela ne suffisait pas, le chef de la diplomatie ukrainienne M. Pavel Klimkine a déclaré, samedi, dans une interview à l’hebdomadaire allemand « Wirtschaftswoche » que les 30 milliards de dollars d’aide promis par l’Europe ne suffiraient pas, « les mesures de stabilisation macroéconomique traînant en longueur ».
C’est pourquoi je demande à Madame la chancelière allemande qui se comporte depuis de nombreux mois comme le chef de l’Europe, aussi bien dans le domaine économique que dans celui, politique, des sanctions contre la Russie : "où allons-nous, Mme. Merkel ?"
La chancelière allemande a développé ces derniers mois une habitude de faire pression sur ses partenaires européens pour obtenir ce qu’elle voulait. Comme, en général, cela marche, elle imagine pouvoir faire la même chose avec M. Poutine. C’est sans doute pour cela qu’elle est à l’origine de ce petit déjeuner organisé samedi matin. Mais le président russe est d’un autre calibre que les présidents européens. Il n’est donc pas étonnant que Mme. Merkel ait eu son air des mauvais jours en sortant de ce petit déjeuner.
On la comprend ! Sa position commence à être pour le moins inconfortable. L’économie européenne ne se porte pas bien et ses partenaires commencent à accuser de façon de moins en moins discrète la politique de rigueur imposée par l’Allemagne. Les sanctions contre la Russie n’ont rien fait pour améliorer la situation économique.
Mais comment aller contre la volonté de l’allié américain ? Et il faudrait également affronter les politiciens pro-atlantiques de son parti. La solution serait évidemment que M. Poutine cède sur toute la ligne, mais Mme. Merkel a certainement compris, maintenant, que cela ne se fera pas. Si elle avait encore besoin d’en être convaincu, le retard de plus de trois heures imposé par le président russe à leur rencontre vendredi soir et sa remarque sur ce que devrait faire l’Europe pour aider l’Ukraine à payer son gaz, seraient des preuves plus que suffisantes.
Au contraire, le président russe a déclaré, avant de quitter Milan, que la Russie ne fournirait pas de gaz à l’Ukraine à crédit et que c’était son dernier mot. Souvenons nous qu’avant de quitter Moscou, il avait annoncé l’intention de Gazprom de diminuer les quantités de gaz expédiées dans les gazoduc si l’Ukraine continuait à voler le gaz destiné aux clients européens. Une telle pratique est facile à contrôler, il y a des compteurs à l’entrée de l’Ukraine, côté russe et à la sortie, côté européen. Une telle méthode avait été utilisée en 2009. Elle pourrait l’être à nouveau ce qui se traduirait tôt ou tard par une coupure des exportations de gaz russe via les gazoducs ukrainiens. Le message de M. Poutine est clair : « Européens, faites pression sur vos nouveaux amis pour qu’ils se comportent correctement ».
Mais nous avons eu maintes fois l’occasion de constater que les dirigeants ukrainiens sont imprévisibles et incontrôlable. Quelle confiance accorder à un président Poroshenko qui déclare à Milan que tout ou presque est réglé (« nous sommes d’accords sur les paramètres ») avant de déclarer, en fin de journée, que rien n’est réglé ? Et quel est le pouvoir réel de l’actuel président ukrainien. Son premier ministre M. Yatseniouk (« Yats ») a été choisi par les Etats-Unis (on se souvient de la discussion téléphonique de Mme. Nuland avec l’ambassadeur américain en Ukraine). D’ailleurs, au fait, que faisait Mme. Nuland à Kiev la semaine dernière où elle a été reçue presque comme un chef d’état ?
Et que se passe-t-il dans le sud de l’Ukraine ? Les troupes gouvernementales ont été accusées d’exactions. Dans le cas de charniers découverts il y a déjà plus d’un mois, aucune enquête sérieuse n’a eu lieu. Maintenant, on accuse ces mêmes troupes d’avoir bombardé Donetsk avec des bombes à sous-munitions. Bombarder des zones occupées par des civils avec ce type de munition est considéré comme un crime de guerre. Cette fois, c’est le « New York Times » qui accuse. On peu reprocher énormément de choses à ce quotidien américain, mais pas d’être « pro-russe », bien au contraire. Les opérations militaires dans le sud de l’Ukraine commencent à apparaître pour ce qu’elles sont, une expédition punitive. Alors, tout le monde veut croire au cessez-le-feu, donc on ne parle pas, ou presque des violations journalières de ce même cessez-le-feu à Donetsk ou sur l’aéroport de la ville chèrement disputé par les deux parties.
Qu’en sera-t-il demain ? Si M. Poroshenko décide de la fin des opérations, M. Kolomoïski acceptera-t-il ? Et les autres oligarques ukrainiens qui ont des positions à défendre ? Et quid de la situation après les prochaines élections législatives. M. Yatseniouk a créé un nouveau parti dans lequel il a de nombreux partenaires de l’extrême droite ukrainienne. Ne pousseront-ils pas à la reprise des combats pour, une fois pour toute, « pacifier » (comprenez « nettoyer ») le Dombass. La Rada (parlement ukrainien) a bien voté une loi de décentralisation concernant le Dombass, mais cette loi est peu claire sur plusieurs points importants et, en plus, elle est valable trois ans uniquement. Que se passera-t-il ensuite ? Les dirigeants des républiques auto proclamées n’attendront pas si longtemps pour le savoir.
Quelle sera la réaction des dirigeants ukrainiens quand ils comprendront que l’Europe ne va pas les aider. Que tout ce qu’ils vont recevoir, ce sont des bonnes paroles mais pas d’argent ? Qu’il devront supporter seuls le coût énorme de la reconstruction du Dombass ? Vous étiez le soutien le plus fort du gouvernement Ukrainien, vous étiez le seul chef d’état présent à l’inauguration du président Poroshenko, alors je vous le demande : « où allons-nous Mme. Merkel ? »
La situation économique de l’Union Européenne est plus que préoccupante. On parle maintenant de déflation. Le chômage est au plus haut partout, sauf en Allemagne. En Grèce il est de plus de 25%, comme en Espagne, ailleurs, comme en France, en Italie ou au Portugal il reste désespérément supérieur à 10%.
Les bourses sont en baisse, les taux d’intérêt auxquels des pays comme la Grèce doivent emprunter pour refinancer leur dette sont en hausse (plus de 9% pour la Grèce, comment son économie va-t-elle réagir ?).
D’un point de vue politique, la situation de l’Union Européenne n’est pas meilleure. Même « The Economist » titrait après les élections de mai dernier sur l’Europe eurosceptique, (« The Eurosceptic Union »), et expliquait dans l’article correspondant que l’Europe était en train de devenir la tête de pont d’un mouvement eurosceptique. De son côté, le président hongrois, M. Viktor Orban partait en guerre contre la « démocratie libérale », ce qui est un comble pour le président d’un pays qui fait partie d’une organisation basée précisément sur la « démocratie libérale » (cf. article du Financial Times du 30 juillet 2014). Tout ceci pousse les autorités de Bruxelles dans une sorte de radicalisme qui se renforce à vue d’œil. Ce radicalisme que beaucoup d’Européens reprochent maintenant à une Allemagne qui n’est tout de même pas responsable de tout.
Mais la France, l’Italie et la banque centrale européenne semblent s’être donné le mot pour mettre en cause la politique d’austérité prônée par Berlin. On sait ce que l’on peut attendre du président français qui n’est pas un modèle de courage dans ces situations, surtout face à Mme. Merkel. M. Renzi, lui a appelé le FMI à la rescousse en déclarant jeudi : « Comme l’a dit le FMI, nous devons nous concentrer sur la croissance ». Un discours qui, évidemment, ne plaît pas à la chancelière et au directeur de la banque centrale allemande, M. Jens Weidmann. Ce sont sans doute ces divergences entre les partenaires qui ont ébranlé la confiance des observateurs internationaux et provoqué les mouvements récents sur le marché des capitaux. M. Weidmann semble maintenant un peu isolé au conseil de la Banque Centrale Eurpéenne (BCE), mais il ne faut pas oublier qu’il parle au nom d’une partie importante de l’opinion allemande et qu’il a été longtemps le conseiller de Mme. Merkel.
Les perspectives économiques de la zone euro ne sont pas encourageantes. Ainsi Jean Artus, dans une note de conjoncture de la banque Natixis conclut par ces mots : « L’impuissance, ou la lenteur des effets des politiques économiques dans la zone euro est effectivement déprimante ».
L’euro lui-même est également attaqué par un grand nombre d’économistes (pas tous d’extrême droite, M. Moscovici !). Mais l’Allemagne est certainement le pays qui a le moins à gagner de la disparition de l’euro. Alors, une fois encore, « où allons-nous Mme. Merkel ? »
La crise ukrainienne a mis en évidence une Union Européenne sans vision, sans politique commune, ni dans le domaine international, ni dans le domaine économique. On nous dit l’Europe c’est la paix. Ah oui ? Alors l’Ukraine ce n’est pas l’Europe ? C’est ce que pourraient bien découvrir les Ukrainiens dans un avenir très proche. Quant à l’Europe, survivra-t-elle à cette accumulation de problèmes en apparence insolubles ?
L’Urss a disparu en moins de trois jours…

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