Je concluais un précédent
article en disant : « Entre Bruxelles et Washington, quelle
est la marge de manœuvre de, disons, au hasard, François Hollande ? Est-ce qu’il commencerait à réaliser la situation
et faudrait-il expliquer ainsi son escale rapide à Moscou en revenant
d’Astana ? Ou est-ce que je continue à prendre mes désirs pour des
réalités ?... »
Aujourd’hui, je dirais
que l’évolution, sinon des évènements, en tout cas des prises de positions me permet
de continuer à espérer.
Deux grandes lignes
semblent se dessiner clairement maintenant dans l’Union Européenne. D’un côté
Mme. Merkel qui veut tenir fermement la ligne des sanctions. De l’autre un
président français qui déclare que « Les sanctions doivent être levées
s'il y a des progrès. S'il n'y a pas de progrès, les sanctions
demeureront ». François Hollande faisait allusion à la réunion
des présidents au format « Normandie » initialement prévue à Astana le 15 janvier. Ce à
quoi la chancelière allemande répondait : "Je pense qu'il faut que
nous puissions voir mise en oeuvre la totalité des accords de Minsk pour que
nous puissions dire que l'on peut lever ces sanctions". Les circonstances
de cette déclaration ne sont pas anodines, puisque Mme. Merkel l’a fait à
Berlin, au cours d'une conférence de presse commune avec le Premier ministre
ukrainien Arseni Iatseniouk.
Nous avons donc, d’un
côté la chancelière allemande qui fonctionne en parallèle du pouvoir Ukrainien
et le président français qui fait savoir que le régime des sanctions commence à
lui peser.
Voyons d’abord le côté
allemand. Il y a quelques mois, on se posait la question des motivations de
Mme. Merkel. J’ai discuté il y a un peu plus d’un mois avec un diplomate russe
qui connaît bien l’Union Européenne et la France en particulier. Pour lui, il
ne faisait aucun doute que la position de la chancelière est celle de quelqu’un
qui se sent prête à diriger l’Union Européenne. Pour cela, elle a besoin
d’affirmer sa propre ligne. Que cette ligne corresponde, pour le moment, à la
ligne américaine est un bonheur collatéral. Mais il serait erroné de penser
qu’elle « roule » pour les Etats-Unis. Le moment venu elle prendra de
l’indépendance, sans aller, bien sûr à la rupture ce que son électorat
n’accepterait pas. D’ailleurs elle ne le veut pas elle-même. Ce qui lui importe
c’est de prendre un peu de distance pour asseoir son autorité sur l’Union
Européenne.
Si on relit les
principales déclarations de Mme. Merkel ces derniers mois, cette analyse semble
confirmée par la réalité. Elle parle désormais au « nom de l’Union
Européenne ». D’autre part, l’Allemagne est à la recherche de solutions
pour protéger les acquis de sa population dont la moyenne d’âge augmente plus
rapidement que dans d’autres pays européens. L’Ukraine avec son marché de plus
de 45 millions d’habitants et une force de travail bon marché serait une
solution tentante, même si, pour cela, il faut, au moins temporairement,
s’allier à un gouvernement dans lequel figurent en bonne place un certain
nombre de néonazis.
Mais la classe politique
allemande ne fait pas bloc derrière la chancelière sur ce sujet. Beaucoup s’en
faut. Les milieux économiques ne sont pas satisfaits non plus. Il est difficile
de dire combien de temps Mme. Merkel pourra imposer ses vues concernant les
sanctions à ces partenaires intérieurs. Certains pensent même dans les milieux
anglo saxons, qu’elle ne survivra pas, politiquement, aux problèmes qu’elle aura
à régler cette année.
Du côté français, la
situation est en train d’évoluer, au moins en apparence. Mais les relations
internationales sont aussi faites de signaux et d’apparences.
Le président français
semble, à présent, désireux de prendre au
moins certaines distances avec la politique allemande dans ce domaine, faute
d’avoir le courage de le faire sur les questions économiques ou celle de la
gouvernance de l’Union Européenne. Il peut légitimement espérer faire taire une
partie de ses critiques en s’opposant à la direction allemande dans un domaine
ou il ne risque pas de devoir apparaître comme celui qui a mis en cause la
construction européenne telle qu’elle est aujourd’hui où la zone euro.
D’autre part, il peut
compter sur le soutien de la Russie dans ce type de politique. Mais surtout,
les attentats récents à Paris on changé l’ambiance générale. Le rôle que
pourrait jouer la Russie, expert reconnu internationalement de la lutte contre
le terrorisme est un argument fort qui pourrait changer durablement l’image de
ce pays dans les médias.
Ainsi donc, on l’a vu
rendre visite au président Russe à son retour du Kazakhstan. Puis il a fait des
déclarations apaisantes comme celle où il explique que la Russie ne veut
pas envahir l’Ukraine, « le président Poutine me l’a dit ». Il a
accepté de participer à une réunion au Kazakhstan avec la Russie, l’Ukraine et
l’Allemagne (le format dit « de Normandie » par référence à la
rencontre qui a eu lieu lors des cérémonies de commémoration du débarquement)
en juin. Il y avait mis une condition de bon sens, « qu’il y ait des
chances que cette rencontre soit productive », c’était le moins. Cette
réunion a été reportée suite à une séance de préparation qui a eu lieu il y a
quelques jours à Berlin. Ceci n’est pas le fait de la France, mais plutôt du
côté ukrainien. On peut y voir la main des Etats-Unis qui ne verraient pas d’un
bon œil un accord qui n’arrange pas leur politique actuelle d’agression vers la
Russie et auquel, injure suprême, ils n’auraient pas participé.
On notera au passage que
ceci est bien la manifestation de ce qui se passe en coulisse dans un pays qui
est maintenant contrôlé et même effectivement dirigé par la CIA et le
département d’état. On citera à titre d’exemple, la nomination, par le
président ukrainien, au poste de ministre des finances, de Natalie Jaresko, une Américaine d'origine ukrainienne qui
a travaillé pour le département d'Etat américain et pour un fonds
d'investissement ukrainien financé par le Congrès des Etats-Unis. Comme cela
semblait tout de même un peu étonnant, la porte parole du dit département
d’état, Marie Harf, a affirmé, sans rire, que les Etats-Unis «n'avaient rien
à voir du tout avec cela. C'est le choix du peuple ukrainien et de leurs
représentants élus». On est prié de la croire…
Cela n’enlève rien, bien
au contraire, à la volonté du président français de sortir de l’impasse actuelle
qui commence à coûter cher aux différentes économies européennes. D’autant que,
si la France prend maintenant la tête du mouvement, ses relations diplomatiques
et les intérêts des entreprises françaises en Russie s’en trouveront renforcés.
Réaction de la Russie,
comme en réponse à ces ouvertures françaises encore timides, on envoie une
lettre demandant à la France de déclarer officiellement sa position en ce qui
concerne la livraison des deux navire de type « Mistral ». Les médias
officiels, dont on sait pour qui ils « roulent » on présenté cela
comme une mise en demeure avant une action en justice. J’y vois, tout au
contraire, une offre d’apaisement. D’autant que, de son côté, le ministre adjoint russe de la Défense Youri Borissov a
déclaré : « Nous
serions satisfaits quelle que soit l'issue – les Mistral ou le remboursement de
l'argent investi ». Ceci
ne sonne pas comme une mise en demeure, mais plutôt comme « annoncez votre
choix, nous l’acceptons d’avance ». Il faut dire aussi que la Russie est
bien placée pour se montrer compréhensive dans ce domaine. Elle a été,
elle-même, dans la position de la France en 2010 quand elle a refusé de livrer
à l’Iran, des missiles S300 commandés et payés par ce pays.
Peu de jours
après, l’ambassadeur de France en Russie, Jean-Maurice Ripert, donnait une interview au quotidien
« Kommersant » dans laquelle il déclarait notamment : « Nous
ne voulons pas accepter la rupture, le fait que la Russie s’éloigne de l’Europe
ou l’Europe de la Russie. Le concept d’Eurasie ne me gêne pas, c’est une
réalité. La Russie est un pont entre l’Europe et l’Asie, et, bien sûr, la
Russie fait partie de l’Europe ».
Chacun sait qu’un
ambassadeur ne fait jamais ce genre de commentaires de son propre chef. Il suit
à la lettre les instructions qui lui sont données par le Quai d’Orsay. On
mesure donc l’importance de telles déclarations. D’autant que ce n’est pas une
première en ce qui concerne Jean-Maurice Ripert. Il avait déjà déclaré, il y a environ deux mois, lors d’un voyage en province à Sverdlovsk,
« Nous espérons sortir de ce
cycle des sanctions dans un avenir proche. Et nous sommes venus ici pour nous
préparer au moment, où il sera possible de mettre intégralement en œuvre la
machine de la coopération franco-russe ».
Ainsi donc, un mouvement de fond commence qui pourrait, s’il allait à son
terme, changer complètement la donne dans les relations entre la France et la
Russie, la France et l’Europe et donc l’Europe et la Russie. Et tout ceci à
l’initiative de la France et, en particulier de son président. François
Hollande y retrouverait un poids qui pourrait lui permettre de relancer une
carrière politique que tout le monde s’accordait il n’y a pas longtemps à
considérer comme virtuellement terminée. Voilà pour la motivation personnelle
et égoïste. Espérons que cela ne soit pas la seule et, d’ailleurs, il a
matière à se sentir motivé par l’avenir de la France.
Comme je le mentionnais plus haut, Mme. Merkel se comporte maintenant comme
le vrai patron de l’Union Européenne. Jusqu’à une période récente, l’Union
Européenne c’était, pour simplifier, l’économie de l’Allemagne avec la voix de
la France. Maintenant, c’est l’économie de l’Allemagne avec la voix de
l’Allemagne. Si François Hollande ne fait rien, avant la fin de son mandat, la
France, avec ses difficultés économiques sera devenu un membre de seconde classe
de l’Union Européenne.
Il y a donc urgence, mais il peut compter sur l’aide de la Russie. La
Russie apportera son aide pour deux raisons. La première, plutôt sentimentale,
mais forte, est le passé des relations franco-russes qui ont plus de mille ans
et sont restées fortes même à l’époque de la guerre froide. Dans une récente
émission sur une radio russe, qui réunissait Kyrill Koktish, professeur associé
à l’Ecole Nationale des Relations Internationales de Moscou et Dmitri
Yakushkine, un expert indépendant, ce dernier remarquait : « ceci me
rappelle le rôle que la France a essayé de jouer dans les années 60. Elle
cherchait à retrouver sa gloire d’avant guerre en se positionnant comme un pays
entre l’Est et l’Ouest. A cette époque, l’Urss faisait preuve de beaucoup de
retenue dans ses critiques envers la France. »
La deuxième raison est que, ayant une vue large de la situation de crise
actuelle, la Russie peut mieux en analyser les causes et les trajectoires. En
France, la réflexion est polluée, comme bloquée par la communication haineuse
de médias dégoulinants « d’anti poutinisme » et « d’anti
russisme ». Nous traversons une phase pendant laquelle il devient possible de
redistribuer les cartes, d’établir un nouveau rapport de force entre l’Eurasie
et le monde occidental. La Russie sait que la France pourrait être un
partenaire idéal pour atteindre ces fins. Son histoire montre qu’elle est sans
doute le pays le plus qualifié pour jouer ce rôle d’arbitre sans lequel il sera
difficile de régler les différentes crises actuelles.
Le Russie moderne a su aussi se construire une image d’intermédiaire fiable
dans certaines régions du monde où la France est moins présente. Dans
l’émission de radio citée plus haut, Kyrill Koktish, remarquait :
« Si le président Hollande parvient à construire un pont entre l’Union
Européenne et l’Union Eurasiatique, lui et la France serait de grands gagnants,
car l’Europe retournerait à la tradition intellectuelle française, sans laquelle
cette Europe serait un pays sans esprit ».
La France a besoin de croire à nouveau en elle. La meilleure façon de lui
redonner cette confiance serait de lui redonner sa place dans la diplomatie
mondiale. La confiance retrouvée ne règlerait évidemment pas les problèmes
intérieurs (économie, immigration, etc.) mais créerait la seule ambiance
propice au règlement « à la française » de ces problèmes.
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