Nous apprenions ce matin
que François Hollande et Angela Merkel se rendaient cet après midi à Kiev et
demain à Moscou pour présenter aux présidents Poutine et Poroshenko un plan de
paix préparé par les diplomaties française et allemande.
Cela ressemble à la
réaction de Nicolas Sarkozi en août 2008. Mais là, le président français était
allé à Moscou d’abord puis à Tbilissi. La suite d’action a évidemment un sens.
Mais tout ceci ne ressemble pas beaucoup à l’actuel président français ni à la
chancelière allemande.
Alors quoi ? Que
cache cet empressement ? A mon avis, il cherche à cacher que nous sommes à
la veille d’un tournant important. Un tournant qui pourrait mettre l’ensemble
de l’Europe dans une situation très grave, bien plus grave que la situation
actuelle.
Sur le terrain en Ukraine
de l’Est, les troupes gouvernementales sont en grande difficulté. Après avoir
perdu l’aéroport de Donetsk, point stratégique d’où les troupes de Kiev
pouvaient bombarder la ville, un très gros contingent est sur le point d’être
totalement encerclé dans la « poche de Debaltsevo » un nouveau
« chaudron » comme l’appellent les force sur le terrain qui
s’inspirent de la dénomination allemande. L’armée de Kiev a de nouveau commis
une erreur tactique comme elle en avait déjà commis deux cet été.
Les troupes
gouvernementales sont très mal en point et sur le point de connaître un nouveau
revers majeur. Les raisons en sont nombreuses. Le commandement a fait la preuve
d’une telle incompétence que les « conseiller étrangers » ont été
obligé de quitter leurs bureaux de Kiev pour aller sur le terrain, où l’un
d’eux s’est d’ailleurs fait « piéger » par une chaîne de télévision
(un combattant en uniforme ukrainien mais qui ne parle que l’anglais). Les
soldats ukrainiens ont un très mauvais moral. On les oblige à tuer des
compatriotes pour des motifs qui ne leur sont pas très clairs, dans une guerre
qu’ils sont de plus en plus nombreux à considérer que ce n’est pas leur guerre.
Face à eux, ils ont des
volontaires qui se battent sur leur terre, dans leur région et qui sont certains
de leur bon droit. Mineurs ou ouvrier sidérurgistes, ils sont habitués à des
conditions de vie très difficiles. Même la population qui souffre, qui paye un
lourd tribut à la guerre, continue à les soutenir.
On nous rebat les
oreilles de l’intervention russe dans le Donbass. Un général ukrainien a pourtant
reconnu il y a quelques jours qu’ils n’avaient jamais eu devant eux de soldats
de l’armée russe. Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’aide en provenance de la
Russie voisine ? Ne soyons pas naïfs. Bien sûr il y a des volontaires qui
viennent de Russie, et d’ailleurs aussi. Des Français, par exemple. Nous sommes
face à une guerre par procuration entre les Etats-Unis et la Russie. Les deux
camps bénéficient de soutiens extérieurs.
Le problème principal est
donc de savoir qui a commencé et à qui tout cela profite. Les médias
occidentaux font porter la responsabilité du conflit sur la Russie. Mais
récemment, George Friedman, le fondateur et directeur de Stratfor, une société
d’analyse géopolitique surnommée la « CIA privée » aux Etats-Unis, a
déclaré dans une interview au quotidien russe Kommersant (le 21 décembre
2014) : « La Russie définit l’événement qui a eu lieu au début de
cette année [en février 2014] comme un coup d’Etat organisé par les USA.
Et en vérité, ce fut le coup [d’État] le plus flagrant dans l’histoire.»
Cette position sera confirmée (très
prudemment il est vrai) par Barak Obama qui déclare à Fareed Zakaria, de
CNN dans une interview du 31 janvier dernier : « (…) Mr. Poutine prit sa décision concernant la Crimée et l’Ukraine, non pas
selon un projet de grande stratégie mais parce qu’il avait été pris de cours
par les protestations du Maidan suivies de la fuite de Ianoukovitch après que
nous ayons arrangé un accord de transition de gouvernement en Ukraine... »
On me demande souvent ce
que veut Vladimir Poutine dans cette affaire. Pour une fois, je ne donnerai pas
ma réponse mais celle, encore lui, de Georges Friedman que l’on ne peut soupçonner
de « Poutinisme primaire » : « Au début de cette année [2014],
il existait en Ukraine un gouvernement assez pro-russe mais très faible.
Cette situation convenait parfaitement à la Russie: après tout, la Russie ne
voulait pas contrôler complètement l’Ukraine ni l’occuper; il était suffisant
pour elle que l’Ukraine ne rejoignît ni l’OTAN ni l’UE. Les autorités russes ne
peuvent tolérer une situation où des forces militaires occidentales seraient
stationnées à une centaine de kilomètres de Koursk ou de Voronezh. »
Rien de bien nouveau
jusque là, si ce n’est que les forces de Kiev sont sur le point de perdre la
partie sur le terrain, ou sont, au minimum, en grande difficulté. D’autant que
la mobilisation lancée par Petro Poroshenko n’a pas trouvé beaucoup de
candidats, c’est le moins que l’on puisse dire.
Comme à son habitude, le
président ukrainien en appelle donc à ses protecteurs américains (ceux qui ont,
comme mentionné plus haut « arrangé un accord de transition de
gouvernement en Ukraine »). Et cette fois, la réaction semble plus empressée.
John Kerry est à Kiev pour discuter de la livraison d’armes et les Etats-Unis publient
le nouveau rapport Brookings, une institution présidée par Strobe Talbott,
co-signé par d’anciens ambassadeurs, un ex-secrétaire d’état à la défense, des
généraux et des amiraux. Le titre de ce rapport : "Conserver l'indépendance de l'Ukraine, résister à l'agression
russe : ce que doivent faire les Etats-Unis et l'Otan". Il est
disponible ici.
Il préconise de fournir annuellement un milliard de dollars en aide militaire
cette année et les deux années suivantes. Il conseille également de fournir de
l'assistance létale aux forces armées ukrainiennes, et de « demander »
aux autres pays de l’Otan de faire de même.
Tout se passe comme si,
ayant compris que leur plan initial en Ukraine avait fait long feu, les Etats-Unis
avaient décidé de créer un nouveau chaos aux portes de la Russie avant de se
retirer, comme ils l’ont fait à de nombreuses reprises dans d’autres pays. A ce
propos, Georges Friedman expliquait dans l’interview cité plus haut : « Le
point central, l’argument fondamental, c’est que l’intérêt stratégique des USA
est d’empêcher la Russie de devenir hégémonique. » Quelle meilleure façon que de faire entrer l’Ukraine
dans l’Otan ? Voilà pour le « Plan A ». Il apparaît
maintenant que ce plan risque fort de ne pas fonctionner. Reste alors le « Plan
B », créer une situation inextricable qui gâchera pour longtemps toute
possibilité d’entente entre l’Union Européenne et la Russie.
Mais
c’est l’Union Européenne qui devra ensuite gérer cette crise. Une crise qui
promet d’être longue et dévastatrice. Car qui sait ce que va faire la Russie en
cas de livraison d’armes à l’Ukraine ? Elle ne peut pas ne pas réagir. A
nous de gérer tout cela ensuite. Voilà pourquoi il y a urgence à agir avant qu’il
ne soit trop tard. Je souhaite à Angel Merkel et François Hollande des trésors
de diplomatie et de persuasion.
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