jeudi 5 février 2015

Ukraine : il y a urgence !


Nous apprenions ce matin que François Hollande et Angela Merkel se rendaient cet après midi à Kiev et demain à Moscou pour présenter aux présidents Poutine et Poroshenko un plan de paix préparé par les diplomaties française et allemande.
Cela ressemble à la réaction de Nicolas Sarkozi en août 2008. Mais là, le président français était allé à Moscou d’abord puis à Tbilissi. La suite d’action a évidemment un sens. Mais tout ceci ne ressemble pas beaucoup à l’actuel président français ni à la chancelière allemande.
Alors quoi ? Que cache cet empressement ? A mon avis, il cherche à cacher que nous sommes à la veille d’un tournant important. Un tournant qui pourrait mettre l’ensemble de l’Europe dans une situation très grave, bien plus grave que la situation actuelle.
Sur le terrain en Ukraine de l’Est, les troupes gouvernementales sont en grande difficulté. Après avoir perdu l’aéroport de Donetsk, point stratégique d’où les troupes de Kiev pouvaient bombarder la ville, un très gros contingent est sur le point d’être totalement encerclé dans la « poche de Debaltsevo » un nouveau « chaudron » comme l’appellent les force sur le terrain qui s’inspirent de la dénomination allemande. L’armée de Kiev a de nouveau commis une erreur tactique comme elle en avait déjà commis deux cet été.
Les troupes gouvernementales sont très mal en point et sur le point de connaître un nouveau revers majeur. Les raisons en sont nombreuses. Le commandement a fait la preuve d’une telle incompétence que les « conseiller étrangers » ont été obligé de quitter leurs bureaux de Kiev pour aller sur le terrain, où l’un d’eux s’est d’ailleurs fait « piéger » par une chaîne de télévision (un combattant en uniforme ukrainien mais qui ne parle que l’anglais). Les soldats ukrainiens ont un très mauvais moral. On les oblige à tuer des compatriotes pour des motifs qui ne leur sont pas très clairs, dans une guerre qu’ils sont de plus en plus nombreux à considérer que ce n’est pas leur guerre.
Face à eux, ils ont des volontaires qui se battent sur leur terre, dans leur région et qui sont certains de leur bon droit. Mineurs ou ouvrier sidérurgistes, ils sont habitués à des conditions de vie très difficiles. Même la population qui souffre, qui paye un lourd tribut à la guerre, continue à les soutenir.
On nous rebat les oreilles de l’intervention russe dans le Donbass. Un général ukrainien a pourtant reconnu il y a quelques jours qu’ils n’avaient jamais eu devant eux de soldats de l’armée russe. Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’aide en provenance de la Russie voisine ? Ne soyons pas naïfs. Bien sûr il y a des volontaires qui viennent de Russie, et d’ailleurs aussi. Des Français, par exemple. Nous sommes face à une guerre par procuration entre les Etats-Unis et la Russie. Les deux camps bénéficient de soutiens extérieurs.
Le problème principal est donc de savoir qui a commencé et à qui tout cela profite. Les médias occidentaux font porter la responsabilité du conflit sur la Russie. Mais récemment, George Friedman, le fondateur et directeur de Stratfor, une société d’analyse géopolitique surnommée la « CIA privée » aux Etats-Unis, a déclaré dans une interview au quotidien russe Kommersant (le 21 décembre 2014) : « La Russie définit l’événement qui a eu lieu au début de cette année [en février 2014] comme un coup d’Etat organisé par les USA. Et en vérité, ce fut le coup [d’État] le plus flagrant dans l’histoire.»  Cette position sera confirmée (très prudemment il est vrai) par Barak Obama qui déclare à Fareed Zakaria, de CNN dans une interview du 31 janvier dernier : « (…) Mr. Poutine prit sa décision concernant la Crimée et l’Ukraine, non pas selon un projet de grande stratégie mais parce qu’il avait été pris de cours par les protestations du Maidan suivies de la fuite de Ianoukovitch après que nous ayons arrangé un accord de transition de gouvernement en Ukraine... »
On me demande souvent ce que veut Vladimir Poutine dans cette affaire. Pour une fois, je ne donnerai pas ma réponse mais celle, encore lui, de Georges Friedman que l’on ne peut soupçonner de « Poutinisme primaire » : « Au début de cette année [2014], il existait en Ukraine un gouvernement assez pro-russe mais très faible. Cette situation convenait parfaitement à la Russie: après tout, la Russie ne voulait pas contrôler complètement l’Ukraine ni l’occuper; il était suffisant pour elle que l’Ukraine ne rejoignît ni l’OTAN ni l’UE. Les autorités russes ne peuvent tolérer une situation où des forces militaires occidentales seraient stationnées à une centaine de kilomètres de Koursk ou de Voronezh. »
Rien de bien nouveau jusque là, si ce n’est que les forces de Kiev sont sur le point de perdre la partie sur le terrain, ou sont, au minimum, en grande difficulté. D’autant que la mobilisation lancée par Petro Poroshenko n’a pas trouvé beaucoup de candidats, c’est le moins que l’on puisse dire.
Comme à son habitude, le président ukrainien en appelle donc à ses protecteurs américains (ceux qui ont, comme mentionné plus haut « arrangé un accord de transition de gouvernement en Ukraine »). Et cette fois, la réaction semble plus empressée. John Kerry est à Kiev pour discuter de la livraison d’armes et les Etats-Unis publient le nouveau rapport Brookings, une institution présidée par Strobe Talbott, co-signé par d’anciens ambassadeurs, un ex-secrétaire d’état à la défense, des généraux et des amiraux. Le titre de ce rapport : "Conserver l'indépendance de l'Ukraine, résister à l'agression russe : ce que doivent faire les Etats-Unis et l'Otan". Il est disponible ici. Il préconise de fournir annuellement un milliard de dollars en aide militaire cette année et les deux années suivantes. Il conseille également de fournir de l'assistance létale aux forces armées ukrainiennes, et de « demander » aux autres pays de l’Otan de faire de même.
Tout se passe comme si, ayant compris que leur plan initial en Ukraine avait fait long feu, les Etats-Unis avaient décidé de créer un nouveau chaos aux portes de la Russie avant de se retirer, comme ils l’ont fait à de nombreuses reprises dans d’autres pays. A ce propos, Georges Friedman expliquait dans l’interview cité plus haut : « Le point central, l’argument fondamental, c’est que l’intérêt stratégique des USA est d’empêcher la Russie de devenir hégémonique. » Quelle meilleure façon que de faire entrer l’Ukraine dans l’Otan ? Voilà pour le « Plan  A ». Il apparaît maintenant que ce plan risque fort de ne pas fonctionner. Reste alors le « Plan B », créer une situation inextricable qui gâchera pour longtemps toute possibilité d’entente entre l’Union Européenne et la Russie.
Mais c’est l’Union Européenne qui devra ensuite gérer cette crise. Une crise qui promet d’être longue et dévastatrice. Car qui sait ce que va faire la Russie en cas de livraison d’armes à l’Ukraine ? Elle ne peut pas ne pas réagir. A nous de gérer tout cela ensuite. Voilà pourquoi il y a urgence à agir avant qu’il ne soit trop tard. Je souhaite à Angel Merkel et François Hollande des trésors de diplomatie et de persuasion.

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