mardi 14 juillet 2015

La fin de l’Europe


Je pense, comme beaucoup de mes confrères que ce à quoi nous venons d’assister est le début de la fin de l’Europe, en tout cas de cette Europe que les technocrates bruxellois ont cherché à mettre en place ces dernières années.
Cette Europe ne pouvait subsister longtemps. Elle existe encore à cause (ou grâce) à divers subterfuges inventés par des politiques démissionnaires qui, à un moment donné, ont trouvé commode de se décharger d’une part importante de leurs responsabilités devant leur apparente incapacité à faire vivre leur pays dans le paradigme néolibéral que veut leur imposer la puissance dominante du moment.
Ce transfert de responsabilité voulu par les nouveaux maîtres du monde a été possible parce que les deux parties y trouvaient leur intérêt. D’une part, les politiques pouvaient se cacher derrière les règles communes afin de s’exonérer auprès de leurs électeurs de la responsabilité de l’échec de leurs politiques. De l’autre des technocrates royalement rémunérés ne voyaient pas d’inconvénients à endosser ces responsabilités puisqu’ils n’ont pas de compte à rendre à un quelconque électorat et que cela ne faisait que renforcer leur pouvoir, donc assurer la pérennité de leur position.
Ce faisant, la démocratie était étranglée par des dirigeants de fait qui n’étaient pas comptables des reculs démocratiques que leur politique imposait, tandis que ceux qui en sont normalement comptable pouvaient rejeter la responsabilité sur d’autres.
Si seulement les technocrates savaient comment gérer ce bateau ivre qu’est devenu l’Europe et assurer aux populations un minimum de qualité de vie, ce système aurait pu persister, tant il est vrai que dans une ambiance de bien être minimum, il est difficile aux idéalistes de tous bords de susciter des mouvements de protestation.
Au départ, le scénario semblait bien réglé. Construire une Europe qui canalisera les énergies de chacun de ses membres, sans pour autant accéder à une puissance économique qui en fasse un rival dangereux pour les Etats-Unis. Pour cela il fallait pousser à un élargissement continu et mal maitrisé qui empêchait tout progrès réel dans le domaine de l’intégration afin de garder l’ensemble à un niveau économique non inquiétant. La stratégie a parfaitement fonctionné. Dans ce cas de figure de regroupement d’états dans une entité unique, il faut à tout moment choisir entre l’élargissement et l’approfondissement des liens. Les Brics l’on bien compris qui, pour le moment, refusent d’accueillir de nouveaux membres.
De son côté, l’Europe a poursuivi une course folle à l’élargissement qui n’a fait que l’affaiblir, ce qui, nous venons de le dire, était le but recherché. Les pressions sont peut-être allées un peu trop loin quand les Etats-Unis ont poussé à l’intégration de la Turquie dans l’Europe. C’était le pas de trop, mais qui n’a pas pour autant déclenché de prise de conscience dans les opinions publiques européennes.
De toute façon, cette intégration de la Turquie n’était pas nécessaire à l’accomplissement du dessein concernant le contrôle de la puissance de l’Europe. Une nouvelle composante venait jouer ce rôle : la monnaie unique. Cette monnaie unique mal pensée, mal organisée et mal gérée portait en elle, dès sa mise en place les germes qui allaient plonger l’Europe dans une maladie incurable dont nous voyons aujourd’hui les effets s’aggraver.
Car, pour faire bonne mesure, il fallait non seulement imposer ce carcan qui en quelques années a plongé l’ensemble de l’Europe dans l’austérité, mais y faire entrer au moins un germe supplémentaire qui assurerait l’affaiblissement définitif du malade. Ce germe a été, pour son malheur, la Grèce, qui est à l’origine, à son corps défendant, d’une aggravation de l’état du malade qui pourrait causer sa perte. La Grèce n’aurait jamais du entrer dans la zone euro, beaucoup l’on dit avant moi et ce, pour certains, dès 2001. Elle ne remplissait pas les critères d’admission et ses comptes publics ont été falsifiés par les oligarques au pouvoir à Athènes, à l’époque, avec l’aide d’une grande banque d’affaires américaine. La décision était politique et les prétextes données à l’époque cachaient cette volonté d’affaiblir la construction européenne.
Une sortie de la Grèce de la zone euro était dangereuse pour l’oligarchie au pouvoir car elle ouvrait la voie de la sortie à d’autres pays qui souffrent particulièrement du carcan de l’euro. D’autre part, il est possible voir probable qu’après une période particulièrement difficile le pays s’en sorte mieux une fois hors de l’euro. Quel déplorable exemple cela serait pour les pays qui y seraient encore. Il fallait donc tout faire pour empêcher Alexis Tsipras de tenir ses promesses électorales et de donner une chance à la Grèce. Et tout a effectivement été fait.
Guerre médiatique avant et pendant les négociations, prises de positions publiques de dirigeants européens. A ce propos, on notera que Mme. Merkel a fait preuve d’indépendance vis à vis des Etats-Unis en évoquant une sortie possible de la Grèce de la zone euro alors que Washington faisait, on le comprend, campagne pour un compromis qui maintienne le pays dans la zone. François Hollande, lui, en bon petit soldat atlantiste, a suivi dès le début la ligne des Etats-Unis. Cela dit, il s’agissait peut-être simplement, du côté d’Angela Merkel de lâcher un peu de lest face aux réactions de la classe politique allemande de plus en plus opposée à un maintient de l’aide à la Grèce.
Jean-Claude Junker, fidèle à lui même et à son mépris de la démocratie recevait à Bruxelles, malgré les résultats du référendum grec, ou peut-être à cause d’eux, d’ailleurs, des représentants de l’opposition grecque, les anciens dirigeants qui avaient mis leur pays dans ce pétrin et sont toujours prêts à tout faire pour l’y maintenir.
Puis vinrent ces « négociations marathon » de près de dix sept heures, le Grèce seule devant les représentants des autres état membres de la zone euro prêts à tout pour la faire plier. Au matin, telle la chèvre de Monsieur Seguin[1], et selon l’expression de Jacques Sapir sur son blog, « ce lundi 13 juillet, le Premier-ministre grec, M. Alexis Tsipras, a fini par capituler. Il a capitulé sous les pressions insensées de l’Allemagne, mais aussi de la France, de la Commission européenne et de l’Euro groupe ».
Jacques Sapir poursuit en expliquant qu’à son avis, « Cet accord est un accord détestable, et pour plusieurs raisons. Il l’est dans le domaine économique. Il saigne à nouveau l’économie grecque sans lui offrir la nécessaire et réelle bouffée d’oxygène dont elle avait besoin. (…) Cet accord est aussi détestable dans le domaine financier. Il engage donc le Mécanisme Européen de Stabilité, ou MES. Mais, cet engagement sera appelé à grandir régulièrement. L’économie grecque va, en effet, continuer à s’enfoncer dans la dépression[2]. »
Pour mon confrère Pepe Escobar, l’Allemagne a sauvé l’euro en humiliant la Grèce. Je partage la deuxième partie de sa phrase tout en émettant de sérieux doute sur la première. Il ne s’agit pas d’un sauvetage et en tout cas le résultat ne eut être que temporaire.
Paul Krugman, lui, sur son blog du New York Times, titre à propos du résultat des négociations de l’Euro groupe : « Killing the European project[3] ».
Quant aux Suisses de le Tribune de Genève qui ne sont pourtant pas réputés pour leurs excès dans le domaine émotionnel, ils titrent « La Grèce reste dans l’euro, un pistolet sur la tempe[4] ».
Nous ne sommes sans doute pas en train d’assister, espérons le au moins, à la fin de l’Europe, mais plutôt au début de la fin d’une certaine idée de l’Europe, cette Europe anti démocratique que les fonctionnaires de Bruxelles essayent depuis de nombreuses années de nous imposer. Il faut maintenant tout faire pour accélérer ce processus afin de pouvoir, sur les ruines des erreurs passées, construire cette nouvelle Europe que beaucoup appellent de leurs vœux, une Europe des nations, libre de toute ingérence étrangère, qui ne se confonde plus avec l’Otan, une Europe de la coopération démocratique construite autour de ce qui rassemble le nations et leurs populations et non pas contre tel ou tel adversaire, contre tel ou tel danger réel ou hypothétique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire