J’ai eu récemment une
conversation avec un collègue américain au cours d’un colloque sur les
relations entre la Russie et l’Otan. J’aimerais préciser, car la suite pourrait
en faire douter, que ce collègue était parfaitement sobre.
Nous parlions de la
position des médias occidentaux, et en particulier américains, et de la
descriptions qu’ils donnent de ce qui se passe actuellement dans l’est de
l’Europe et en Ukraine. J’expliquais que ces positions me semblaient appartenir
plus à un monde virtuel qu’au monde réel, ce qui m’attira le commentaire
surprenant suivant : « Si vous vous souciez encore de la réalité,
c’est que vous faites partie du monde des perdants, des faibles, des esclaves.
Les forts ne s’en soucient plus, parce que la réalité, c’est eux qui la
créent ».
Cela ressemble à première
vue à une boutade. Mais la personnalité de mon interlocuteur et le sérieux avec
lequel il a énoncé ce qui semblait être, pour lui, une évidence ne me
permettaient pas de considérer son propos comme une boutade. Il était, en
réalité, profondément convaincu de ce qu’il disait. Si on arrive à se
convaincre que l’on dispose d’une puissance quasiment sans limites, même la
réalité ne peut plus être acceptée comme telle en ce qu’elle limiterait la
puissance. La réalité doit obligatoirement correspondre à ses désirs et la
limite entre le réel et le virtuel a tendance à disparaître progressivement.
Il n’y a donc pas de
duplicité, et on ne peut parler d’hypocrisie dans la mesure où dans l’esprit de
votre interlocuteur la limite a disparu. Mais c’est particulièrement inquiétant
car il n’y a pas non plus d’entente possible. On ne se comprend pas parce que l’on
ne peut plus se parler et on ne peut plus se parler parce que chacun vit dans
son monde dont il est persuadé qu’il s’agit bien du seul monde « réel ».
Les exemples ne manquent
pas que l’on doit maintenant observer différemment. Si un membre du G8 a un comportement
non conforme, on ne cherche pas à lui parler, à le convaincre, on ne cherche
pas à réévaluer sa propre position, on l’exclut.
Même chose pour les
réactions des dirigeants de l’Union Européenne vis à vis de la Grèce. Même
chose encore pour l’OSCE, supposée assurer une position d’observateur neutre de
la situation en Ukraine et qui vient de voter à Helsinki une motion proposée
par une des parties au conflit.
On croit rêver disais-je souvent. En ce moment,
j’aimerais être en train de rêver car tout ceci est très inquiétant.
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