La première « cage »
dans laquelle on cherche à nous enfermer est celle de l’ignorance.
La direction d’un pays
est une chose trop sérieuse pour être laissée entre les mains de la population.
Petit à petit on a cherché à nous convaincre que le peuple était, trop émotionnel,
trop mal informé, pas assez formé, en un mot, trop bête. Il s’agissait donc de
l’éloigner des cercles de décisions, d’occuper son esprit à des choses moins
importantes et même, si possible, des choses sans importance.
L’étape suivante a été de
nous convaincre que les dirigeants politiques, les représentants du peuple,
n’étaient pas non plus dignes de prendre les décisions importantes. Ils sont
trop soumis au contrôle de ce peuple incapable de savoir où est son intérêt et
qui peut, par le suffrage universel, défaire ce que d’éminents spécialistes ont
fait dans leur grande sagesse.
D’ailleurs, les nouvelles
élites supportent de plus en plus mal le pouvoir, le faible pouvoir à vrai
dire, qui demeure entre les mains de la population. On songera à la réaction du
Jean-Claude Junker lorsque les Grecs ont porté Alexis Tsipras au pouvoir. Il a
déclaré : « il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les
traités européens ». On nous avait déjà fait le coup en Italie en 2011
quand Silvio Berlusconi a été remplacé par un « technocrate », Mario
Monti ancien consultant de la banque américaine Goldman Sachs, et chargé de
former un gouvernement de « spécialistes ». Fin 2012, les partenaires européens de l'ex-président du Conseil
italien saluaient massivement les réformes engagées depuis un an, mais les
Italiens, eux, appréciaient moins la cure d'austérité très sévère qui leur a
été imposée.
Quant à
l’intéressé, ce qu’il considère comme son plus grand succès est d’avoir
restauré la confiance des marchés financier en l’Italie, laissant l’économie du
pays dans une profonde récession (-2,4% pour 2012) et un chômage allant de
record en record et frappant en premier lieu les jeunes (36,5%).
Plus récemment,
c’est au Portugal que le dernier affront en date a été fait à la volonté
populaire. En octobre, une majorité d’électeurs a porté ses voix sur une
coalition de partis de gauche élus sur un programme de sortie des politiques
d’austérité imposée par Bruxelles. Malgré cela, le président Anibal Cavaco
Silva a jugé qu’il ne serait pas raisonnable de laisser des partis de gauche
accéder au pouvoir et a décidé que la droite minoritaire était mieux à même de
satisfaire l’Union Européenne et de rassurer les marchés financiers
internationaux.
Voilà les nouveaux
maîtres que l’on veut imposer à la population des pays membres de l’Union
Européenne, la Commission et les marchés financiers. Où est la démocratie ?
Qu’elle attende un peu ! De toute façon le peuple n’est plus capable de se
gouverner, l’économie est le centre de tout et l’économie est trop compliquée
pour les électeurs. Consommez, braves gens, les spécialistes s’occupent de
votre avenir ! Si seulement les « spécialistes » étaient
capables eux de diriger les économies nationales !
Mais on se méfie encore
des réactions des populations. C’est pourquoi les fonctionnaires de Bruxelles
ont jugé plus prudent de négocier en secret le projet de Traité Transatlantique
avec les Etats-Unis. Même les élus n’ont pas libre accès à ces textes, ils
peuvent les consulter dans des conditions très strictes qui leurs sont imposées.
Ils ne peuvent, par exemple, pas prendre de notes à l’occasion de ces
consultations. Il est vrai que quelques fuites organisées ont fait apparaître
que l’adoption de cet accord entre l’Union Européenne et les Etats-Unis mettraient
totalement les représentants élus à l’écart des décisions les plus importantes.
Une entreprise multinationale pourrait, par exemple poursuivre un gouvernement
pour avoir fait voter des lois qui portent atteinte à la rentabilité de
l’entreprise sur le territoire national. Des poursuites qui seraient
« jugées » non pas par un tribunal national, mais par des cours
arbitrales privées.
Cette fois, les citoyens
seraient totalement désarmés devant les appétits sans limites des dirigeants
des grandes entreprises internationales. Cela inclue également la perte de
contrôle de leur sécurité alimentaire.
Pour reprendre les mots
de Paul Craig Roberts[1],
« les représentants des entreprises américaines négocient avec les
représentants des entreprises d’autre pays (comme ceux de l’Union Européenne)
qui feront partie de l’accord et cette poignée de personnes achetées mettent
sur pied un accord qui supplante les lois de ces pays en faveur des intérêts
des entreprises. Aucune des personnes qui négocient ne représente la population
des états ou les intérêts publics. Les gouvernements de ces pays devront
simplement, ensuite, accepter ou refuser l’accord, et ils seront largement
payés pour accepter l’accord. Une fois ces accords acceptés, les gouvernements
se retrouveront comme privatisés. Il n’y aura plus besoin de législatures, de
présidents de premiers ministres, de juges, des cours arbitrales privées
décideront de la loi et de son application ».
D’autres moyens sont
utilisés pour nous préparer au « grand changement », plus ou moins
visibles, car il faut agir en douceur pour éviter les réactions violentes. Un des
moyens les moins visible est la manipulation du sens des mots.
On manipule les mots, on
en crée de nouveaux, soit ex-nihilo (souvent en utilisant une racine anglo-américaine
car cela « sonne bien »), soit en changeant le sens d’un mot
existant. Voyez comment un mot comme populisme a pris une connotation
extrêmement négative. Cette connotation n’existe pas au milieu du vingtième
siècle pour Albert Camus qui parle dans « L’homme révolté » du
renouveau du populisme russe en 1870[2].
Aujourd’hui, le mot est une sorte d’injure quand il est utilisé contre un homme
ou une idée politique.
Il y a une logique
derrière ce glissement. Si on part du principe que le peuple est incapable de
savoir ce qui est bon pour lui, vouloir tenir compte de son avis ne peut
qu’être condamnable.
Une autre méthode
consiste à couper les citoyens de leur histoire, quand on ne cherche pas à
réécrire cette histoire. En effet, l’histoire, la mémoire, est une base
indispensable de la réflexion. Comme le dit Proust, « La réalité ne se
forme que dans la mémoire[3] ».
Pour Jacques Sapir,
« alors que les projets de nouveaux programmes d’Histoire prétendent
déconstruire en collège la question d’un récit national, il faut aujourd’hui
revenir sur les conditions de construction de l’Etat moderne. Elles montrent
l’importance des conflits, mais aussi des solutions historiques à ces conflits,
solutions qui – une fois agglomérées les unes aux autres – ont construit l’identité
politique du peuple français. (…) De ce point de vue, si l’enseignement
d’un récit national ne peut avoir pour but de fonder une identité, il faut
admettre que la construction des institutions produit nécessairement une
identité politique précise. Or, le récit national permet de comprendre comme se
sont construites ces institutions. Ne pas le reconnaître revient à se voiler la
face. C’est pourquoi, on peut voir dans ces nouveaux programmes d’Histoire, qui
justement refusent largement la chronologie et l’examen de moment clef de
l’histoire, la matérialisation d’une haine de la Nation, et au delà d’une haine
de la souveraineté[4] ».
Les médias qui utilisent
trop de collaborateurs décervelés et n’ayant aucune culture historique, ont une
lourde responsabilité dans cet enfermement dans l’ignorance.
A suivre, « La cage de l’Union Européenne et
de l’euro».
[1] Economiste et journaliste américain, Paul Craig Roberts
est diplômé des universités de Virginie, Berkeley et Oxford ainsi que de
l’Institut de Technologie de Géorgie. Il a été sous secrétaire au trésor dans
l’administration Reagan au début des années 80 et a reçu la Légion d’Honneur en
1987.
[3] « La réalité ne se forme que dans la mémoire, les
fleurs qu'on me montre aujourd'hui pour la première fois ne me semblent pas de
vraies fleurs ». Marcel Proust, « A la recherche du temps perdu, Du
côté de chez Swann » (1913), I, 2.
[4] Jacques Sapir, « Souveraineté laïcité et histoire », 19
mai 2015.. http://russeurope.hypotheses.org/
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