jeudi 10 décembre 2015

Le FMI, arme de guerre américaine


Le vice président américain Joe Biden était à Kiev en début de semaine. Son discours à la Rada, le parlement ukrainien avait les allures pathétiques, d’un grand papa déconnecté des réalités qui continue à acheter l’amour de ses petits enfants avec des cadeaux. Quel genre de respect peuvent avoir les enfants ? D’autant que les cadeaux continuent à arriver sous forme de financements divers qui permettent de poursuivre la guerre  que Kiev mène contre les Ukrainiens du Donbass, et de créditer les comptes des oligarques et hauts fonctionnaires locaux.
Dans son article sur le voyage du vice président américain, le « New York Times » explique quel silence a accueilli les recommandations américaines de maîtriser les finances de l’état et de lutter contre la corruption alors qu’une salve d’applaudissements a salué sa déclaration à propos de la Russie qui a « violé la souveraineté de l’Ukraine[1] » accompagnée d’une promesse « les Etats-Unis ne reconnaitront jamais l’annexion de la Crimée », du Petro Poroshenko pur jus !
Histoire de bien enfoncer le clou, il a suggéré que les sanctions ne devraient pas être levées mais au contraire accentuées si la Russie ne tient pas ses engagements en particulier si elle ne retire pas les huit mille soldats et les tanks qu’elle a déployé dans le Donbass, un « déploiement fantôme » que les Etats-Unis n’ont jamais pu prouver, évidemment. Quant aux accords de Minsk, Biden en inverse certains paragraphes pour montrer que la Russie ne les respecte pas. Dans l’ordre qu’il expose, c’est exact, mais dans les accords, il est prévu que l’Ukraine retrouvera la maîtrise de sa frontière avec la Russie APRES la tenue d’élections démocratiques dans le Donbass, et non avant. On remarquera en passant que le côté ukrainien de cette frontière est tenu par les Ukrainiens du Donbass et non par la Russie.
Donc, le message délivré par Joe Biden était, en gros « il faudrait dépenser moins, mettre de l’ordre dans l’administration et lutter contre la corruptions, mais si vous ne le faites pas, nous continuerons tout de même à vous envoyer de l’argent » !
On comprend évidemment la position du gouvernement américain qui, après avoir dépensé cinq milliards de dollars pour « favoriser la démocratie en Ukraine » selon une déclaration publique de Victoria Nuland, avoir fomenté la révolution de Maidan comme l’a expliqué le fondateur de « Stratfor », George Friedman[2], et comme l’a également reconnu Barak Obama, voit la situation s’enliser en Ukraine. L’objectif premier d’entrainer la Russie dans une guerre locale n’a pas été atteint, seul celui d’éloigner la Russie de l’Europe l’a été, mais à quel prix ! Aujourd’hui reste un pays plus qu’à moitié détruit, toujours aux mains d’oligarques et de hauts fonctionnaires corrompus (les personnes ont changé mais pas les méthodes) et qu’il faut coûte que coûte garder à flots, au moins le temps de s’en aller. Mais qui va payer ? L’Union Européenne ne le peut pas et le veut de moins en moins, seule la pression américaine sur Bruxelles oblige l’Europe à maintenir les sanctions contre la Russie. Quant à financer les excès des dirigeants ukrainiens au moment où on doit en plus faire face à une vague d’immigration sans précédents, n’y pensons pas !
Les Etats-Unis ne veulent plus non plus financer directement l’Ukraine. Ils ont même refusé de garantir la dette du pays à la Russie dans le cadre d’une restructuration de cette dette de trois milliards de dollars qui vient à échéance dans dix jours. Il faut dire aussi que quand il s’agit de la Russie, le gouvernement américain réagit « comme un drogué en manque qui ne peut plus penser à autre chose que trouver sa dose[3] ».
Ils ont donc dégainé leur deuxième arme de guerre après l’Otan, à savoir le FMI. C’est lui qui va soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine contre le Donbass (donc, dans l’esprit du gouvernement US, contre la Russie). Problème : l’Ukraine va certainement faire défaut sur le remboursement du prêt de trois milliards de dollars par la Russie et qui vient à échéance ce mois-ci. Le FMI ne peut pas, d’après ses statuts prêter de l’argent à un pays en défaut de paiement. Qu’à cela ne tienne, le 9 décembre, le Conseil Exécutif du FMI décidait de ne pas tenir compte de cette clause, remettant en cause une règle qui avait structuré le système financier international depuis plus de cinquante ans.
Les personnes bien informées savaient depuis longtemps que le FMI était dirigé par les Etats-Unis. C’est en grande partie pour cela que les BRICS ont lancé leur banque en début d’année et que la Chine a créé la Banque Asiatique d’Investissement dans les Infrastructures. Mais jusqu’à présent, le Fonds avait toujours cherché à sauver les apparences. Ce n’est plus le cas. En principe le FMI ne fait pas de prêts aux pays en guerre, on l’a « oublié » dans le cas de l’Ukraine. En principe, on ne fait pas de prêts aux pays qui présentent peu de chance de remboursements (règle instituée en 2001 après les problèmes de l’Argentine), mais au printemps le FMI a débloqué une nouvelle tranche de prêt.
Aujourd’hui, le Fonds se prépare à débloquer une nouvelle tranche et c’est pour cela qu’il a officiellement renoncé à la règle concernant le défaut de paiement. Est-ce parce que le « rating » de l’Ukraine auprès des grandes agences internationales se serait brusquement amélioré ? Selon les dernières évaluations, Standard & Poor’s a donné la note B- (degré le plus bas de la zone  « extrêmement spéculatif »), pour Moodie’s, c’est Caa3 (« état de défaut de paiement avec peu d’espoir de remboursement ») et enfin pour Fitch, c’est RD (« en état de défaut de paiement »). Brillant ! Vous iriez mettre de l’argent dans ces investissements ? Ne craignez rien, le FMI va le faire pour vous (avec l’argent de vos impôts que vos pays européens confient au FMI).
Pourquoi tout cela ? Tout d’abord parce que si le FMI bloquait toute intervention dans le pays, automatiquement, c’est la règle, tous les programmes de crédit avec les organisations financières internationales (Banque mondiale, Banque européenne pour la reconstruction et le développement, gouvernements de l'UE et des Etats-Unis) seraient suspendus.
Les Etats-Unis via le FMI avaient donc le pouvoir d’imposer la paix en Ukraine en refusant de financer la politique belliqueuse de l’Ukraine vis à vis de la Russie via le Donbass. Au lieu de cela, les Etats-Unis ont donc ordonné au FMI de soutenir la politique ukrainienne, sa « kleptocratie », et son mouvement « secteur droit » ouvertement fasciste. La seule condition imposée est la poursuite de l’austérité qui ne fait qu’augmenter les chances de défaut, mais il est vrai qu’au niveau où elles sont déjà… Quant à la corruption et au souffrances de la population… depuis quand le bien-être des populations est-il une variable de l’équation libérale ?
Mais cette décision va aussi bien au delà de tout cela. Elle équivaut à annoncer : « nous n’exigerons plus le remboursement que des sommes dues aux Etats-Unis et à leurs alliés ». En termes plus financiers, cela revient à couper le monde en deux entre, d’un côté la zone dollar plus euro et les devises des pays alliés des Etats-Unis, et de l’autre les BRICS.
Que vont faire ces pays ? Rendez-vous à la prochaine réunion des BRICS, de la « Brics Development Bank » ou de la « Banque Asiatique d’Investissements ».
Stephen Cohen a raison, « des drogués en manque » !


[1] Accusation reprise dans un article de TV5Monde : « Or "les chars et les missiles russes sont toujours dans le Donbass" et les séparatistes sont "toujours dirigés depuis Moscou", a accusé M. Biden. "Les États-Unis ne reconnaissent pas et ne reconnaîtront jamais la tentative de la Russie d'annexer la Crimée", a encore martelé le responsable américain, dont les propos ont été accueillis par une ovation des députés. http://information.tv5monde.com/en-continu/biden-presse-l-ukraine-de-saisir-une-chance-historique-de-se-reformer-73070

[2] Dans un discours devant le “Chicago Council on global affairs”, le 4 février 2015
[3] Expression “empruntée” à Stephen Cohen dans une interview qu’il a donnée à Patrick L. Smith le 17 avril 2015.

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