La justice russe a
récemment lancé un mandat d’arrêt international contre Mikhaïl Khodorkovski
pour complicité d’assassinat. Les médias occidentaux ont ressorti leurs
arguments habituels à propos d’un prétendu acharnement contre « l’ex homme
le plus riche de Russie » qualifié selon les cas de « ex magnat du pétrole
et critique du Kremlin[1] »,
de « ancien oligarque russe, devenu ennemi numéro un de Poutine[2] »,
de « moine combattant[3] »
ou « l’opposant en exil[4] »
pour ne citer que quelques exemples. De
son côté, Mikhaïl Khodorkovski clame depuis le début de ses ennuis judicaires
en 2003 qu’il s’agit de procès politiques, ce qui, d’une part, est « de
bonne guerre », et d’autre part, n’est pas tout à fait faux. Il faut
seulement savoir de quoi on parle, et surtout de quelle politique il s’agit.
La condamnation de Mikhaïl
Khodorkovski a soulevé, il y a douze ans, un tollé général, bien organisé, en
Occident, alors que les Russes de leur côté n’y voyaient rien d’autre qu’une
décision de justice logique, la place des voleurs étant naturellement en
prison.
Au moment où nous allons
être soumis de nouveau à l’habituelle propagande russophobe, je vous propose de
nous intéresser à Mikhaïl Khodorkovski et de tenter de savoir qui il est
véritablement, qui il sert, qui le soutien et pourquoi il est un des rares
oligarques à avoir fait de la prison alors que la plupart de ses
« collègues » se sont rendus coupables des mêmes malversations. Pour
cela, je présenterai trois périodes de sa vie, la jeunesse et les premières
affaires, les privatisations et enfin la présidence de la société pétrolière
Youkos.
A sa libération, gracié
par Vladimir Poutine, Mikhaïl Khodorkovski s’est installé en Suisse où il
a obtenu facilement un permis de séjour. Peu de temps après, alors qu’il
avait commencé par annoncer qu’il n’aurait pas d’activité politique, l’oligarque
expliquait qu’il n’excluait pas de devenir un jour président de la Fédération
de Russie, explication transformée rapidement dans les médias occidentaux en
« Khodorkovdki brigue la présidence... ».
Si l’homme est aussi
intelligent que l’on veut bien le dire, et je crois qu’il l’est, il sait très
bien qu’il n’a aucune chance de réussir quoi que ce soit en politique en
Russie. Il pourra toujours dire que c’est la faute de Vladimir Poutine qui le
craint tellement qu’il ne veut pas le laisser revenir. En réalité, ce n’est pas
le président qui ne veut pas de lui, c’est le pays tout entier. Un autre que M.
Khodorkovski, et qui avait une réputation moins sulfureuse, a cru que sa
fortune et son sens des affaires lui permettrait de se mêler de politique. Il
s’est présenté aux élections présidentielles de 2012 et, après avoir dépensé près
de cent millions de dollars, a été crédité de 7 pour cent des voix. Il s’est
depuis retiré de la politique.
La population russe ne
veut plus des oligarques qu’elle considère comme des voleurs. Il faut dire que
ces derniers se sont enrichis à une vitesse incroyable en participant à la distribution
entre initiés de la richesse nationale que l’on a appelé « privatisation
de l’économie ». Mikhaïl Khodorkovski est de ceux-là.
Il est même l’un de ceux
qui ont le mieux réussi car il a pris le départ très tôt, bien avant les
autres. Il était millionnaire avant la fin de l’Union Soviétique en décembre
1991. Il doit cette fortune à sa position au cœur du système soviétique. En
1986 il décroche un diplôme d’ingénieur chimiste, mais il occupe déjà un poste
important dans le Komsomol de Moscou. Il s’agit de l’organisation de la
jeunesse communiste d’Urss. Il est également membre du parti communiste. A
cette époque, les relations dans la hiérarchie du parti, au Komsomol ou au KGB
étaient des atouts bien plus sûrs qu’une quelconque mise de fonds initiale. La
protection de personnes haut placées servait de capital. Mikhaïl Khodorkovski a
visiblement ce trait de personnalité de certains jeunes qui fait qu’ils
attirent la sympathie des personnes plus âgées qu’eux, occupant des positions de
responsabilité, et les rendent désireuses de les aider. De les aider tout en se
servant d’eux, évidemment. De plus, c’est un membre du sérail, ce qui renforce
la confiance qu’il inspire au premier abord.
En 1985, après être
devenu le plus jeune secrétaire général du parti, Mikhaïl Gorbachev lançait ses
réformes, la « glaznost » et la « perestroïka ». La
première était une réforme politique qui, pratiquement, supprimait la censure.
La seconde permettait la création de petites sociétés privées, des coopératives,
dans des domaines divers comme les cafés, restaurants, boulangeries, sociétés
de construction etc. Ces créations étaient bien entendu sujettes à autorisation.
Les premiers à se lancer dans l’aventure furent les membres du Komsomol et, en
particulier, celui de Moscou. En effet, les cotisations, première source de
revenu du Komsomol, avaient diminué de façon dramatique et les dirigeants
cherchaient désespérément une nouvelle source de revenus. Ce sont donc eux,
avec leurs aînés au sein du parti communiste qui se lancèrent les premiers. Le
jeune Mikhaïl Khodorkovski leur emboîte le pas avec leur bénédiction et leur
protection. Il a également la fougue de la jeunesse alors que les membres plus
âgés du Komsomol pensent que cette expérience sera de courte durée et que
l’état reprendra le contrôle des nouvelles sociétés privées, tôt ou tard.
Sa première entreprise est
un café étudiant, mais, de son propre aveu, l’opération a été mal montée et le
café périclite faute de clients. L’emplacement a été mal choisi. Il décide donc
de se lancer dans un autre domaine où sa formation et ses relations peuvent lui
servir plus directement. Il crée alors la « Fondation pour l’Initiative
des Jeunes » et s’adresse à un institut de recherche prestigieux,
« l’Institut des Hautes Températures » dont le directeur lui sera
d’une aide précieuse au départ. L’idée telle qu’il la lui présente, est de
sous-traiter des projets scientifiques limités qui seraient menés par de jeunes
diplômés travaillant pour le « club de jeunes » de Mikhaïl
Khodorkovski.
Mais il ne lui explique
pas la suite de l’opération. Cette suite, qui est le véritable objectif de la
Fondation, est de tirer partie du double marché du rouble en Urss. Il existait,
à l’époque, deux types de monnaie : l’une, fiduciaire, constituée des
roubles papier en circulation servait essentiellement aux entreprises à payer
les salaires. L’autre, monnaie purement scripturale, ou unité de compte, servait
à équilibrer les comptes des entreprises lors des échanges en nature dont le
solde n’était jamais nul. Les subventions de l’état se faisaient sous forme de
rouble scriptural qui « circulait » en grande quantité dans les
comptes des sociétés soviétiques. Les entreprises ne pouvaient pas transformer
le rouble scriptural en rouble papier, les deux types de monnaie étaient
contrôlés par la banque centrale. En conséquence, le rouble fiduciaire avait
une valeur beaucoup plus élevée que le rouble scriptural.
Mikhaïl Khodorkovski,
lui, a trouvé le moyen de faire le change d’une monnaie vers l’autre, dans le sens
scriptural vers fiduciaire, évidemment. Cette possibilité lui vient de ses
nombreux soutiens aux plus hauts niveaux de la hiérarchie du parti et du
Komsomol. Une telle autorisation vaut de l’or et il sait se montrer
reconnaissant envers ses protecteurs. Sa force vient à la fois de ses
relations, de la sympathie qu’il suscite auprès des responsables plus âgés que
lui et, bien entendu aussi, de « son sens du partage ».
Il peut, dès lors,
facturer les services de sa « Fondation pour l’Initiative des
Jeunes » en roubles scripturaux, ce que les directeurs d’entreprises
apprécient car ils en ont en grande quantité et ne savent pas toujours à quoi
les employer. Mikhaïl Khodorkovski les transforme ensuite en roubles
fiduciaires au taux nominal. Au début, les études facturées sont réellement
réalisées, puis elles sont copiées sur des travaux scientifiques portant sur
des sujets approchant et parfois, aucune étude n’est produite. A quoi bon
s’attacher à un tel « formalisme » quand tout part à vau l’eau et que
personne ne se soucie plus de contrôler quoi que ce soit. Une partie des
montants facturés revient évidemment au directeur qui a commandé l’étude.
Assez rapidement, Mikhaïl
Khodorkovski améliore considérablement le rendement de l’opération en changeant
immédiatement ces roubles en dollars américains. Là encore, ses relations lui servent
pour effectuer l’opération de change qui, à l’époque était illégale. Il ne
fallait pas être un brillant trader pour faire des bénéfices dans ce genre de
transaction, le cours du rouble étant solidement installé dans une tendance
baissière.
Parallèlement à cela, c’est
effectivement un jeune hyperactif, il importe différents biens de consommation,
et, en particulier des ordinateurs. A cette époque en Russie, il manquait
beaucoup de biens de consommation et le simple fait d’être capable d’aller les
acheter à l’étranger et de les importer vous garantissait un bénéfice proche de
cent pour cent, net d’impôts, évidemment. Il fallait bien sûr une mise de fonds
de départ car en Europe, pas un vendeur n’aurait accepté de charger le moindre
camion sans avoir vu la couleur de l’argent destiné à payer la marchandise.
Mikhaïl Khodorkovski a
cette mise de fonds initiale, provenant de ses autres affaires. Mais les
opérations d’importation sont tellement bénéficiaires qu’il décide d’augmenter
substantiellement les volumes. Pour cela, il lui faut des concours bancaires.
Il va donc à la banque
centrale, présenté par un « ami », pour demander à ce que sa société
bénéficie d’un prêt, ce à quoi on lui répond que la banque centrale ne prête
d’argent qu’aux banques. Que faire ? Et bien créer une banque, bien sûr. (à suivre)
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