mercredi 21 décembre 2016

Le piratage du serveur du parti Démocrate


Quelle valeur attribuer aux preuves ? En principe, l’absence de preuves de ce que l’on avance est la marque d’une information erronée, partielle ou partiale. Mais tout n’est pas si simple. Si une source a lancé un certain nombre de nouvelles ou d’accusations sans preuves, elle finit par être enfermée dans ce comportement. Si après un certain nombre d’accusations sans preuves elle donne une preuve de ce qu’elle annonce maintenant, cette preuve devient de facto une invitation à mettre en doute tout ce qu’elle a annoncé auparavant.
D’autre part, certains éléments de preuve peuvent représenter un danger pour la sécurité nationale. Il est donc très difficile de se faire une religion sur la prétendue (ou réelle) attaque du serveur du parti démocrate par la Russie.
La « Harvard Gazette » a interviewé l’ancien général Kevin Ryan sur ce sujet. Actuellement à la retraite il est le directeur des projets de défense et de renseignement au Centre Belfer à la Harvard Kennedy School, où il analyse les relations de sécurité entre les États-Unis et la Russie, les renseignements militaires et les capacités de défense antimissile. Le général Kevin Ryan a été dans sa carrière attaché de défense à l’ambassade des Etats-Unis en Russie et directeur régional principal pour les États slaves au bureau du secrétaire à la Défense.
Pour lui, un piratage ne serait pas une menace à la sécurité nationale américaine, « …parce que cela ne vient même pas menacer de près ou de loin l’existence des États-Unis. » Le serveur piraté n’était pas un serveur de l’administration. Mais, le général Ryan ajoute immédiatement après : « L’idée que les gouvernements étrangers voudraient soutenir des candidats amis pendant une élection est ancienne. C’est aussi vieux que l’histoire. Et les États-Unis eux-mêmes ouvertement, et avec certaines ressources, soutiennent les candidats dans certains pays qui, selon eux, seraient bénéfiques aux intérêts et aux objectifs des États-Unis dans le monde. Donc, qu’un pays comme la Russie tente de s’immiscer dans notre processus électoral n’est pas inconnu. Je n’essaie pas de faire valoir que c’est correct, ou que c’est équivalent à ce que nous avons fait, par exemple, pour aider les candidats et les partis en Ukraine et en Géorgie avec les « révolutions de couleur ».
Quant à imaginer que Donald Trump puisse être une « marionnette de la Russie », le général Ryan n’y croit pas un seul instant : « Tout d’abord, Trump n’est pas manipulé par le FSB russe ou le SVR [services de sécurité]; Il n’est pas le « candidat manchou ». Il prend clairement ses propres décisions et ne répond à aucune orientation ou directive du président Poutine, sans parler de la plupart des gens aux États-Unis. »
Enfin, en ce qui concerne d’éventuelles preuves d’un piratage russe, le général Ryan précise : « Il est important de noter que c’est plus qu’une simple possibilité, mais c’est moins qu’une certitude – je pense que c’est cela qu’ils veulent dire. Cela signifie, par exemple, que le directeur de l’intelligence nationale James R. Clapper croit que le gouvernement russe a dirigé le processus de compromission des courriels afin d’influencer ou d’interférer avec le processus électoral. (…) Je suppose que nous n’obtiendrons pas les preuves directes… »
D’autres, comme Paul Craig Roberts fait remarquer que si la Russie était impliquée, cela voudrait dire que plusieurs centaines de personnes seraient au courant du côté russe et il s’étonne que personne n’ait parlé.
Dans un article daté du 12 décembre, le « New York Times » explique que Vladimir Poutine a « posé le pouce sur un plateau de la balance pour faire élire le candidat le plus pro-russe ».
La CIA est certaine que les hackers qui ont piraté le site du parti démocrate et les mails du directeur de la campagne d’Hillary Clinton non seulement sont russes, mais ont reçu leurs ordres directement du président russe. Le FBI, de son côté est moins affirmatif, parlant simplement de « preuves circonstancielles », c’est à dire de celles qui ne tiennent pas devant un tribunal. Il est vrai que le FBI doit tenir compte dans ses enquêtes de la réaction des juges, un problème auquel la CIA ne doit, le plus souvent, pas faire face.

Elu avec un déficit de près de trois millions de voix populaires


Pour comprendre comment un président américain peut être élu avec une minorité de voix, il faut se souvenir que l’élection n’a pas été conçue en 1789 comme une élection nationale, mais comme une élection état par état. Chacun des états américains vote pour un candidat en désignant des grands électeurs qui voteront pour le candidat pour lequel ils ont été désignés. Le nombre de grands électeurs par état est calculé en fonction de sa population.
Dans 48 des 50 états, le candidat qui obtient le plus de votes populaires emporte la totalité des grands électeurs de l’état. Ainsi, qu’un candidat gagne avec mille voix ou un million de voix d’avance dans un état, le résultat est le même. D’autre part, certains états votent traditionnellement « républicain » ou « démocrate » depuis de nombreux scrutins. La plus grande partie de l’avantage de Hillary Clinton sur Donald Trump dans le décompte des voix populaires a été gagnée en Californie et dans l’état de New York, deux états qui, de toute façon sont des « états démocrates » et très peuplés.
Mais le système a été élaboré précisément pour éviter que le choix du président fédéral soit le fait uniquement des états les plus peuplés.
Il existe 13 états dans lesquels chaque élection est indécise (les « swing state ») et dans ces états, Donald Trump a reçu 48,3% des voix alors que Hillary Clinton recevait 46,6%. C’est là qu’il a « fait la différence ».

lundi 12 décembre 2016

La Russie centre du monde ?


Un professeur de Sciences Po aime commencer son cours par cette phrase : « La Russie est le trou noir du monde ». En lisant la presse américaine et la presse européenne qui n’en est souvent qu’une traduction, on pourrait penser, au contraire, que la Russie est devenu le centre du monde.
Elle a pris la main au Moyen Orient où elle est sur le point de redresser la situation de la Syrie, empêchant par là même Daech de prendre Damas comme cela aurait été le cas si le génial ministre des affaires étrangères français avait eu gain de cause en ce qui concerne le président syrien. Elle est devenu le seul pays capable de parler avec tous les protagonistes du drame qui se joue là-bas.
Elle a largement participé à l’accord des pays producteurs de pétrole qui ont accepté de réduire leur production pour soutenir les cours.
Elle met en place un réseau de distribution de gaz[1] qui assurera l’approvisionnement de l’Europe sans être soumis aux caprices ukrainiens.
Voilà pour le concret, et la liste n’est pas exhaustive.
Passons maintenant dans le domaine de l’imaginaire, le domaine du « récit convenu » en provenance principalement des Etats-Unis.
Selon ce « récit convenu », les chaînes d’information russes inondent l’occident de leur propagande et ont fait perdre aux populations le sens du réel, du vrai. Comme chacun sait, l’information des uns est la propagande des autres. Les dirigeants occidentaux qui depuis des dizaines d’années s’ingénient à étendre un voile opaque sur leurs activités sont effectivement très contrariées que quelqu’un ait le front de venir exposer publiquement ce qu’ils cherchent à cacher.
Quelle audace ! Depuis plus de soixante ans, l’Union Européenne, le projet supra national de Jean Monnet et de son équipe, est construite patiemment dans une grande opacité[2] pour aboutir à ce monstre administratif qui se croit maintenant assez fort pour braver la démocratie, et la souveraineté des états, comme en Grèce. Souvenez-vous de ce que disait Jean-Claude Junker : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Les populations européennes supportent de moins en moins la férule de Bruxelles et le disent dans des référendums, mais c’est « la Russie de Poutine » qui est la cause de cette réaction en raison de la « propagande » de la chaîne de télévision RT et de l’agence d’informations Spoutnik.
Horreur, la main de Vladimir Poutine est derrière la décision du peuple britannique de sortir de l’Union Européenne.
Les Etats-Unis votent en novembre pour élire un nouveau président. Le vainqueur n’est pas le favori des responsables politiques américains, des dirigeants européens et des médias, donc le vote a été faussé. Qui est coupable ? « La Russie de Poutine » évidemment. Le peuple a mal voté comme en Grande Bretagne. Ici ce n’est pas la « propagande » des médias russes qui est responsable, mais l’intervention directe de hackers qui ne peuvent être que russes. Dans un article daté du 12 décembre, le « New York Times » explique que Vladimir Poutine a « posé le pouce sur un plateau de la balance pour faire élire le candidat le plus pro-russe ».
La CIA est certaine que les hackers qui ont piraté le site du parti démocrate et les mails du directeur de la campagne d’Hillary Clinton non seulement sont russes, mais ont reçu leurs ordres directement du président russe. Le FBI, de son côté est moins affirmatif, parlant simplement de « preuves circonstancielles », c’est à dire de celles qui ne tiennent pas devant un tribunal. Il est vrai que le FBI doit tenir compte dans ses enquêtes de la réaction des juges, un problème auquel la CIA ne doit, le plus souvent, pas faire face.
Le grand cirque américain de l’intrusion russe dans les élections américaines a commencé pendant la campagne électorale, un moment où la réflexion est à son niveau le plus bas et où tout argument est bon s’il affaiblit la position de l’adversaire. Ce sont les Démocrates qui ont « invité » la Russie dans la campagne car ils pensaient que cela affaiblirait Donald Trump qu’ils présentaient comme une marionnette de Vladimir Poutine. Argument surprenant, mais encore une fois, dans le feu de l’action on réfléchit moins que d’habitude, si tant est que d’habitude on réfléchisse vraiment.
Mais l’élection est terminée, les Etats-Unis ont un président. Qu’il plaise ou non à « l’establishment », il n’en est pas moins le président. On nous dit que le système électoral compliqué est la raison de la défaite de Madame Clinton qui pourtant avait la majorité des voix de la population. Sans doute, mais le système électoral est en place depuis 1789. Donald Trump n’est pas le premier président élu avec une minorité des voix de la population.
Il serait donc temps de réfléchir aux arguments que l’on utilise pour essayer de décrédibiliser le président élu. Je n’ai évidemment pas d’informations confidentielles me permettant d’opter pour une version ou une autre aussi me contenterai-je de considérer des hypothèses et de me poser des questions.
Quel intérêt la Russie aurait-elle eu à favoriser Donald Trump ? Il a, bien sûr, annoncé son intention de discuter avec la Russie. Mais il a aussi expliqué qu’il voulait le faire à partir d’une position de force et a annoncé une augmentation du budget de la défense. Il a annoncé qu’il voulait cesser d’intervenir militairement dans des pays qui ne menacent pas directement les Etats-Unis. On pense tout de suite au Moyen Orient, mais la Russie a déjà pris la main dans cette région. De plus, le président américain n’est pas tout puissant dans son pays. Les Russes comme le reste du monde savent bien comment le Département de la Défense et les différentes agences de sécurité ont contrecarré les initiatives de Barack Obama en politique étrangère. Et puis Donald Trump était, il est toujours, d’ailleurs, une quantité largement imprévisible, alors qu’Hillary Clinton est bien connue des autorités russes qui ont eu affaire à elle pendant de nombreuses années.
Pour beaucoup d’hommes politiques russes à qui j’ai pu parler, un interlocuteur difficile mais prévisible et professionnel est largement préférable à un interlocuteur imprévisible même s’il peut paraître à première vue plus favorable.
Ces arguments, j’en conviens peuvent ne pas paraître convainquants à certains. Passons donc aux faits concrets. On nous explique que des hackers ont attaqué des systèmes informatiques aux Etats-Unis. Je doute que cela soit une première. Je pense plutôt que dans la plupart des pays, des pirates informatiques attaquent à longueur d’année de nombreuses cibles, dans un but d’espionnage politique, diplomatique ou économique.
Des hackers russes auraient donc réussi à pirater des systèmes informatiques américains ? Ceux-ci ne sont-ils donc pas protégés ? Le piratage a duré dans le temps bien après les premières annonces. Les Etats-Unis ne seraient-t-ils donc pas capables de défendre leurs réseaux ? Comment alors ont-ils pu mettre en place le système de surveillance généralisée dont nous ont parlé Edward Snowden et d’autres « lanceurs d’alertes » ? Les Russes auraient-ils pris le dessus dans ce domaine-là aussi ?
Il est vrai qu’ils font très peur. C’est d’Allemagne que nous viennent maintenant des manifestations d’inquiétude. Les hackers russes, après le « Brexit » et l’élection de Donald Trump  vont-ils perturber les prochaines élections allemandes ?
Tout ceci semble bien difficile à croire. Mais le déchaînement de haine est tel, dans certains camps[3] que beaucoup de politiques et de journalistes sont malheureusement descendus au niveau zéro de la réflexion politique.


[1] Deuxième gazoduc sous la Baltique, nouveau gazoduc vers la Turquie sous la Mer Noire.
[2] Voir l’excellent livre de Christopher Booker et Richard North publié chez « l’Artilleur » avec une préface de Jacques Sapir
[3] Cf. les déclarations du sénateur John McCain qui traite Vladimir Poutine de « voyou » et « d’assassin ».

dimanche 24 juillet 2016

Donald Trump est une taupe de Vladimir Poutine


Depuis longtemps, les vieux médias occidentaux reprochent à Vladimir Poutine tout ce qui les contrarie dans les affaires du monde. Donald Trump, par ses remarques à propos de l’Otan et des alliés européens des Etats-Unis, dans son discours de clôture de la Convention Républicaine de Cleveland jeudi soir, a mis le feu au bassin atlantique et les médias américains sont en mode panique. Ils reviennent évidemment à leurs vieux phantasmes concernant le président russe responsable de tout (ou presque). Il est raisonnable de penser que, comme d’habitude, les médias européens vont leur emboîter le pas.
Pour Anne Applebaum, du « Washington post », « En 2016, la réalité dépasse la fiction et nous nous retrouvons avec un candidat à la présidence qui a des liens, directs et indirects          avec un dictateur étranger, Vladimir Poutine, dont il promeut la politique. »
Pour Jeffrey Goldberg de « The Atlantic », « Le candidat républicain, Donald Trump a tombé le masque se révélant de-facto l’agent de Vladimir Poutine, un dictateur élevé au KGB qui veut reconstruire l’Empire soviétique… »
Pour Franklin Foer de « Slate », « Vladimir Poutine a un plan pour détruire l’Ouest et ce plan ressemble énormément à Donald Trump. »
Nous ne mentionnons ici que trois journalistes mais les commentaires ont presque tous le même ton angoissé, même si tous ne mentionnent pas le président russe. Il faut dire que les mouvements en Turquie et autour du pays ont de quoi les rendre nerveux précisément sur le sujet de l’Otan.
Dans une conversation téléphonique qu’il a eue mardi dernier avec le président iranien Hassan Rohani, Recep Tayyip Erdogan a mentionné son intention de se rapprocher de l’Iran et de la Russie pour gérer la situation au Proche Orient et ramener la paix dans la région. Une telle déclaration, quels qu’en soient les motifs, n’est pas de bonne augure pour les intérêts américains dans la région.
D’autant qu’elle vient après trois autres développements également négatifs pour l’Otan. Ces dernières semaines, la politique agressive de l’Otan vis à vis de la Russie, soutenue par un certain nombre de pays membres a été critiquée par d’autres membres, et non des moindres. Le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a critiqué cette politique qu’il a qualifiée de provocation inutile et dangereuse. La plupart des pays d’Europe de l’Est soutiennent cette politique, mais la Hongrie et la République Tchèque ont montré leur désaccord.
Parallèlement à cela, la réconciliation en cours entre Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine affaiblit la position de l’Otan vis à vis de la Russie. Les deux présidents ont annoncé il y a deux jours qu’ils allaient se rencontrer en Russie au début du mois d’août.
Le troisième élément est le tour autoritaire que prend l’après coup d’état en Turquie. Bien que l’Otan ait toléré par le passé des régimes quasi dictatoriaux comme au Portugal, en Turquie précisément et en Grèce de 1967 à 1974, cela est passé de mode dans l’Alliance aujourd’hui et des pays membres ne cachent pas leur réprobation vis a vis de la reprise en main en Turquie. Une réprobation qui, évidemment n’a pas l’heur de plaire à Recep Tayyip Erdogan qui conseillait récemment au ministre des affaires étrangères français de « s’occuper de ses affaires ».
Dans ce contexte, les déclarations de Donald Trump dans son discours d’investiture ont de quoi stresser nos journalistes bien-pensant, le stress déclenchant chez eux ce réflexe conditionné : « c’est la faute à Vladimir Poutine. »
L’analyse de la situation actuelle en Syrie et chez ses voisins amène tout de même à se poser la question sur la nouvelle position de la Russie et de son président dans la région, une position qui est évidemment la conséquence des actions de la Russie et de son président.
Pour Ryan Heath, correspondant en Europe de « Politico », la tentative de coup d’état était une « opération noire » du gouvernement pour pouvoir purger les milieux de l’armée et de la justice de leurs éléments laïques (à ce jour plus de deux mille huit cent militaires et autant de juges ont été arrêtés). On objectera qu’étant donné le réel besoin qu’avait le président turc de renforcer son emprise sur le pouvoir, le passage par une « fausse tentative de coup d’état » aurait été particulièrement dangereux. Il est donc peu probable. Une autre option semble plus vraisemblable qui serait une opération montée par Fethullah Gulen, ennemi juré d’Erdogan installé aux USA depuis 1999 et disposant de connexions sérieuses avec la CIA.
Muhammad Fethullah Gülen, né en 1941 en Anatolie a prêché comme Imam d’Izmir jusqu’en 1981. Son biographe le présente comme un musulman défenseur des idées néolibérales. Il a créé le mouvement Hizmet qui s’occupe officiellement d’enseignement et dont le but est de créer une nouvelle élite turque. D’après un article d’Osman Softic, dans openDemocratie.net, le 6 février 2014, ce mouvement a attiré pour le moment plus de trois millions d’adhérents dont beaucoup occupent des postes importants dans l’armée, la police, la justice et l’éducation.
Dans cet ordre d’idée, on apprenait, par exemple, il y a deux jours que l’avion russe abattu en novembre 2015 l’aurait été par un officier d’aviation turc faisant partie des réseaux que Fethullah Gulen entretien dans le pays. On se souvient que cet événement a donné un coup d’arrêt à un rapprochement russo-turc que Washington voyait évidemment d’un mauvais œil.
Gûlen a des liens étroits avec des responsables actuels ou anciens de la CIA. Après s’être installé aux Etats-Unis en 2000, il a reçu le soutien actif de Graham Fuller, analyste important de la RAND Corporation et ancien chef de poste de la CIA à Kaboul quand, en 2006, les Etats-Unis ont envisagé de l’expulser. D’après les mémoires de Cibel Edmonds, Fuller est le lien principal de Gülen avec la CIA. Edmonds, ancienne traductrice au FBI de documents venant de Turquie est ensuite devenue un des « lanceurs d’alerte » les plus connus dans le domaine de la sécurité aux Etats-Unis.
Gülen gère donc depuis quinze ans, des Etats-Unis, son empire de centres d’éducation, d’entreprises brassant des millions de dollars et de sociétés financières.
Etant donné les ramifications du mouvement Hizmet et le fait que Gülen soit à la merci du gouvernement américain, il n’est pas impossible que ce gouvernement ait cherché à utiliser les réseaux de Gülen pour déstabiliser un Recep Tayyip Erdogan dont la politique étrangère, en particulier vis à vis de la Russie ne lui convenait pas.
Recep Tayyip Erdogan n’aurait fait qu’exploiter cette situation qu’il n’a pas créée lui-même ce qui nous semble beaucoup plus probable.
Il n’en reste pas moins que cette tentative de coup d’état aura et a déjà des retombées importantes sur la situation en Syrie et chez ses voisins. Le rapprochement entre la Turquie et la Russie a repris et même si Recep Tayyip Erdogan n’est pas le plus fiable des partenaires, le bras de fer qu’il a engagé avec les Etats-Unis à propos de Gülen est, pour lui, une motivation forte. D’autre part, sa volonté de rapprochement avec l’Iran, deuxième poids lourd dans la région va changer sérieusement la donne et pas en faveur des Etats-Unis, de l’Otan ou de l’Union Européenne.
Et ça, on peut, au moins en partie, le « reprocher » à un Vladimir Poutine qui a pris soin de tenir le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou au courant, par téléphone, hier.

mardi 28 juin 2016

Que faisons-nous encore dans l'Otan ?


Alors que l’Alliance atlantique poursuit sa préparation à une nouvelle guerre mondiale, un certain nombre de voix s’élèvent pour mettre en garde contre le résultat probable de manœuvres et de provocations aussi inutiles que dangereuses.
Après le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier qui dénonçait[1] les provocations inutiles que représentent les dernières manœuvres de l’Otan près des frontières russes, c’est le journaliste américain Robert Parry qui dénonce la « folie collective du Département d’Etat américain[2] ».
Directeur du site d’information « consortiumnews.com » depuis 1995, Robert Parry est un journaliste d’investigation qui s’est fait connaître par sa couverture de l'Affaire Iran-Contra pour Associated Press et Newsweek. Il a des contacts dans les principales agences de renseignement américaines et a reçu le Prix George Polk du reportage national en 1984.
C’est une longue observation du comportement des néocons, qui ont progressivement pris les commandes de la politique étrangère des Etats-Unis depuis la présidence de Ronald Reagan qui l’a amené à ce diagnostique inquiétant. Le dernier symptôme de la maladie étant ce mémo signé la semaine dernière par cinquante et un membres du département d’état qui demandent des bombardements contre le gouvernement syrien de Bashar al-Assad, qui pourtant lutte contre les islamistes extrémistes qui veulent prendre le contrôle de ce pays.
Pour Robert Parry, le département d’état est maintenant complètement contrôlé par des « diplomates » aux comportement arrogants vis à vis des pays dont ils ont la charge et qui traitent les étrangers comme des objets décervelés qu’il s’agit simplement de « forcer » ou « d’acheter ». Dans quelle catégorie rangent-ils le gouvernement français ?
La première remarque qui vient à l’esprit, c’est qu’en cette période pré électorale qui doit voir l’arrivée en janvier d’un nouveau président, ces « diplomates » cherchent à se faire remarquer par  Hilary Clinton dont la réputation de faucon n’est plus à faire. La machine électorale financée par les industries de défense s’est mise en marche et après avoir favorisé l’éviction de Bernard Sanders a maintenant pour objectif la défaite d’un Donald Trump dont la cote de popularité est déjà en baisse.
Leur candidate, Hilary Clinton est en effet supposée, après ses interventions en faveur des bombardements de Lybie, autoriser une invasion illégale de la Syrie sous le prétexte d’installer des « zones d’exclusion aériennes » ou des « zones de sécurité », qui verra de nouveaux morts syriens. Les réactions possibles de la Russie dans un tel cas de figure ne semblent même pas être prises en compte.
Si Hilary Clinton devient présidente des Etats-Unis saura-t-elle résister à la pression des cette « bande de fous » dont parle Robert Parry à propos du département d’état. Aura-t-elle la capacité d’empêcher un retour à la politique des « changements de régime » dans les pays du moyen Orient et ceux qui, de par le monde, ne conviennent pas aux Etats-Unis ? Pourra-t-elle empêcher une nouvelle escalade dans la guerre froide déclarée contre la Russie ? Mais pire, en aura-t-elle envie[3] ?
Les sujets d’inquiétude ne manquent pas. La pression sera forte sur une « présidente Clinton » d’utiliser les sanctions contre l’Iran pour pousser le pays à enfreindre des accords sur le nucléaire que les néocons se sont vu imposer par l’administration Obama. On parle déjà de déployer des troupe américaines supplémentaires aux frontières de la Russie, ou de faire entrer l’Ukraine dans l’Otan, sous prétexte de la supposée agressivité de Moscou.
Le grand danger du moment, c’est que les néocons qui tiennent une part importante du pouvoir aux Etats-Unis, après avoir créé et récité sans fin leur « narrative », ce monde inventé qu’ils nous décrivent depuis des années, se sont eux-mêmes convaincus que leur invention est devenue réalité. Ils vivent dans un autre monde, celui d’une Amérique toute puissante à laquelle nul ne peut résister et qui est investie de la mission divine de répandre sur le monde les bienfaits du néo libéralisme. Ils se sont intoxiqués eux-mêmes avec une propagande dont le but est uniquement de faire progresser les intérêts américains et qui est devenue dans leur bouche la « Communication Stratégique », avant de le devenir dans leur esprit. Ils sont dépendants (« addicts ») des sanctions financières contre les pays récalcitrants, des menaces d’arrestation de citoyens étrangers qui ne respectent pas leur conception du droit, des bombardements ciblés, des attaques de drones et autres formes d’intimidation qu’ils appellent « smart power ». On se demande ce qu’il peut bien y avoir d’intelligent dans ces manifestations de force brute.
Les pays de l’Otan, dont la France, malheureusement, fait partie, semblent avoir fait leur cette position d’une dangerosité dont très peu parlent.
Pensez-vous sérieusement que la Russie va laisser faire ? N’a-t-elle pas fait la preuve de sa détermination et, plus récemment, de ses nouvelles capacités militaires ? La parole est tellement dévalorisée dans le monde organisé par les Etats-Unis que l’on pense ne pas devoir tenir compte de ce que dit Vladimir Poutine. On oublie simplement que les Russes ont une culture différente de la culture américaine, que dans cette culture on dit directement ce que l’on pense et que l’on fait ce que l’on a dit. Alors écoutons les discours du président russe.
On oublie que de tous temps, la Russie s’est battue pour ses idéaux quoique celui puisse lui coûter. On n’est pas obligé de partager ces idéaux. D’ailleurs, à la différence des Etats-Unis, la Russie ne cherche pas, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, à imposer son choix de civilisation au monde entier. Mais il faut comprendre qu’elle n’acceptera pas que l’on cherche à lui imposer des choix qui ne sont pas les siens et qu’elle en a les moyens, tant sur le plan matériel que sur le plan psychologique. Il y a soixante quinze ans, cela lui a coûté vingt cinq millions de morts, et elle s’en souvient, elle cultive même ce souvenir et la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour leur pays. Il serait fou de croire que les Russes d’aujourd’hui sont devenu aussi faibles que les Européens et qu’il est possible de les effrayer avec des menaces comme celles que l’on brandit en ce moment.
Mais justement, Robert Parry nous explique que le département d’état américain est maintenant atteint de folie collective.
Aurions-nous envie de rester dans une voiture conduite par un fou dangereux ou par un conducteur ivre, même si on pense que c’est notre ami ?
Il est plus que temps de se poser les bonnes questions car nous sommes actuellement dans un véhicule conduit par un irresponsable, qu’il soit fou ou ivre ne change rien à l’affaire, qui fonce droit dans un mur, convaincu qu’il est que ce mur va disparaître par magie juste avant l’impact. Et vous, pensez-vous que ce mur va s’évanouir juste au bon moment ? Ou bien peut-être pensez-vous qu’il est moins solide que le véhicule dans lequel vous êtes assis ? Au fait, réalisez-vous qu’en tant qu’Européen, vous êtes assis à l’avant du véhicule ?
Si vous cherchez à évaluer la solidité du mur à l’aune de l’histoire du vingtième siècle, vous devez savoir que le mur ne cèdera pas ou que sa destruction passe par la destruction du véhicule dans lequel vous vous trouvez, donc par votre mort. Les Américains qui sont assis plusieurs rangs derrière vous peuvent penser qu’ils s’en sortiront, mais en cela ils se trompent.
Alors, réfléchissez. Voulez-vous mourir pour défendre le monde de l’individualisme systémique, ce que Margaret Thatcher résumait en disant : « il n’y a pas de sociétés, il n’y a que des individus ». En plus, des individus non liés par quoi que ce soit ayant trait à l’origine, à la couleur, à la foi religieuse, à la langue, à la culture, à la nationalité, mais des individus définis uniquement par leur capacité à rechercher leur satisfaction maximum à tout moment.
Un monde à propos duquel le général américain Wesley Clarck ancien commandant en chef des opérations dans l’ex-Yougoslavie disait récemment : « L’unité des nations est une notion dépassée, nous travaillons et nous devons travailler à détruire l’unité interne des nations européennes ».
Voulez-vous mourir pour un monde aligné bon gré mal gré sur des doctrines, sur des idéologies, sur des systèmes, sur des principes qui ne sont pas les nôtres ?
Voulez-vous mourir pour un monde dans lequel la « diplomatie » est devenu le moyen de contraindre tous à se plier à l’intérêt national américain, un monde dans lequel la dégradation des relations diplomatiques, la dégradation du respect dû à un état souverain, dont la Russie a été plusieurs fois victime dans des situations qui n’ont rien de glorieux pour les Américains et leurs marionnettes européennes, montre bien que le respect de l’autre a disparu ?
Voulez-vous mourir pour le monde de « l’homme nouveau », celui où Google explique qu’il  va mettre fin à la mort, celui que poursuit l’industrie du vivant américaine quand elle dit que l’on va acheter les caractéristiques de l’enfant à naître et que la production d’un enfant sera une opération industrielle qui se passera en dehors du corps d’une femme et n’aura plus rien à voir avec une relation physique ? N’y voyez-vous pas une nouvelle forme de totalitarisme ? Ce n’est pas à des Européens que l’on va rappeler ce que le rêve de l’homme nouveau a provoqué.
Bien sûr, on vous présente le futur sous un jour brillant. On vous explique que si le libéralisme n’a pas encore fait la preuve de ses vertus, c’est simplement parce qu’il n’y a pas encore assez de libéralisme dans le monde. Car le libéralisme un médicament qui ne peut « que » vous guérir, donc si les résultats sont contraires aux prévisions, c’est simplement que vous n’avez pas pris assez de ce médicament. C’est donc de votre faute si vous ne guérissez pas, ce n’est pas de la faute du brillant médecin qui vous soigne.
Regardez ce qui se passe en Ukraine. Après avoir soutenu un coup d’état qui a mis au pouvoir un ensemble d’oligarques corrompus et de nationalistes agressif dont certain sont ouvertement néo nazis, mais qui ont la grande qualité d’être farouchement opposés à toute discussion avec leur voisin russe, le président Obama a déclaré l’année dernière que l’Ukraine « était en marche vers un avenir de prospérité brillante ». La marche promet d’être bien longue et beaucoup d’Ukrainiens n’en verront pas la fin. Mais, bien sûr ce sera de leur faute !
Ne pensez-vous pas qu’il est temps de sauter en marche ?

vendredi 24 juin 2016

Une oppressante impression d'étouffer


Je reviens de près de quatre mois d’exil volontaire, loin de tout ce que je croyais indispensable. Après mon article du 19 février (Vers la troisième guerre mondiale ?), le dernier paru sur ce site, j’éprouvais une oppressante impression d’étouffer.
Quatre mois, sans électricité donc sans téléphone, sans wifi, sans internet quatre mois à réfléchir sans aucune intervention extérieure, avec pour seuls contacts humains la visite de deux personnes qui m’apportaient des fruits et des légumes, une fois par semaine, le mercredi, et qui ne comprenaient aucune des langues que je parle.
Quatre mois sans autre bruit que celui du cours d’eau qui coulait près de ma cabane en rondins. Et le chant des oiseaux. Et, la nuit, les appels des animaux.
La première semaine a été celle d’un repos intense. Je me suis ennuyé pendant les deux semaines suivantes. Besoin de faire quelque chose, de m’occuper les mains. Puis mon cerveau s’est habitué à fonctionner sans interventions extérieures autres que le climat, le chant des oiseaux, et le rythme des jours et des nuits qui se succédaient presque sans transition. Des aubes et des crépuscules si courts que parfois je ne les remarquais pas.
Pas d’ordinateur, même pas de papier, ne pas pouvoir écrire a été dur, parfois effrayant, au début. La crainte de ne pas se souvenir de ses pensées les plus intéressantes. Le besoin de fixer l’instant avec des mots. Puis on comprend que les idées les plus importantes ne s’oublient pas, elles se simplifient, prennent de la densité en s’affranchissant des émotions parasites. Ce que l’on oublie n’avait sans doute pas d’importance, comment savoir ?
Pas de montre, donc pas moyen de mesurer le temps qui passe. Mais le loisir d’y penser. Penser à cette chose paradoxale qui n’existe que parce qu’elle disparaît. Et puis personne ne m’obligeait à être là. Je savais que je partirai un jour, un mercredi.
Tentative de se mettre à l’abri ? Certainement pas. Si un jour arrive l’irréparable, si les fous prennent définitivement le pouvoir et se lancent dans leur ultime folie, je préfère être là où on meurt. Après l’ultime embrasement, les vivant envieront les morts…

vendredi 19 février 2016

Vers la Troisième guerre mondiale ?


Ceux qui me lisent depuis longtemps savent que je me garde habituellement de tout sensationnalisme ou catastrophisme. Mais de plus en plus d’événements et de déclarations d’hommes politiques de différents pays pointent vers ce danger majeur. Ce qui rend les choses graves, à mon avis, c’est que, du côté américain, les voix les plus agressives sont celles qui ont le meilleur accès aux médias de masse.
Nous avons passé il y a quelques années déjà, un cap important : les nouveaux dirigeants des principaux pays de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Occident » n’ont pas connu la deuxième guerre mondiale, ils ne savent pas au plus profond d’eux-mêmes, comme le savaient leurs prédécesseurs, les ravages d’une guerre. Ils n’ont pas connu l’accumulation des morts, des morts le plus souvent pour rien, simplement pour aboutir à un accord que l’on aurait pu atteindre en faisant l’économie de cette guerre. Les morts n’ont servi, le plus souvent, qu’à faire accepter ce qui semblait inacceptable avant le déclenchement de la guerre. Ceux qui n’ont pas connu la guerre ne savent pas. Ils ont bien une connaissance « intellectuelle » du drame que constitue une guerre, pour ceux, au moins, qui ont des connaissances historiques, ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous. Mais seule une connaissance « émotionnelle » peut empêcher des dirigeants de commettre l’irréparable.
Aux Etats-Unis la majorité des dirigeants actuels n’ont connu que des guerres lointaines auxquelles ils n’ont pas participé, mais ils font preuve d’une incapacité quasi pathologique à prendre le passé en compte dans leurs raisonnements. C’est pourquoi ils sont capables de commettre les mêmes erreurs, poursuivre les mêmes politiques qui n’ont pas fonctionné dans l’espoir vain que « plus de tout » finira par donner les résultats escomptés.
L’armée américaine présente un peu partout dans le monde n’a pas gagné une seule guerre depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle a cependant réussit à semer le chaos dans un grand nombre de régions, en particulier au Moyen Orient. Cela n’empêche pas Barak Obama de proclamer, comme, d’ailleurs, son prédécesseur que les Etats-Unis sont le « pays élu » qui doit veiller sur l’ordre du monde et que l’armée américaine est « la meilleure force de combat que le monde ait connu » (« The finest fighting force in the history of the world »). Que des citoyens américains aient ce genre de pensées me semble parfaitement normal. Mais que ceux qui sont supposés diriger un pays qui est un de ceux dont dépend le futur, voir l’existence même du monde a quelque chose d’effrayant.
C’est d’autant plus effrayant que bon nombre de politiques américains n’ont pas abandonné leur rêve de changement de régime en Russie. Les résultats obtenus dans d’autres pays[1], bien plus petits, bien moins importants, bien moins armés ne les font apparemment pas réfléchir. Ils poursuivent donc leur politique agressive, la diabolisation du président russe, l’extension de l’Otan toujours plus près des frontières russes, les sanctions économiques qui ne font souffrir que les Européens, les provocations en Ukraine après la Géorgie et maintenant en Syrie avec l’aide d’un président turc qu’ils croient manipuler mais qui ne joue que son propre jeu.
Au mois de janvier dernier, on a pu croire à la possibilité d’une coopération dans la lutte contre l’Etat Islamique. Les espoirs ont été vite déçus et il y a quelques jours, le secrétaire d’état Ashton Carter a déclaré que la Russie était l’ennemi principal des Etats-Unis, avant la Chine, avant le Corée du Nord, avant l’Etat Islamique !
Deux des plus grands hommes d’état américains, d’après Stephen Cohen, se sont élevés contre cette politique. Tout d’abord Henri Kissinger qui était à Moscou la semaine dernière. Kissinger connaît bien Vladimir Poutine, il l’a rencontré pour la première fois au début des années 90 quand Vladimir Poutine travaillait à la mairie de Saint-Pétersbourg avec le maire de l’époque Anatoly Sobtchak et ils ont continué à se rencontre tous les ans. Le second de ces vrais homme d’état au sens que Winston Churchill donnait aussi à ce terme, William Perry, ancien secrétaire d’état à la défense de William Clinton déclarait récemment : « Le danger d’une catastrophe nucléaire est aujourd’hui, à mon avis, plus grand qu’il ne l’a été pendant la Guerre Froide… et pourtant, notre politique ne tient pas compte de ces dangers » (“The danger of a nuclear catastrophe today, in my judgment, is greater than it was during the Cold War…and yet our policies simply do not reflect those dangers,” said Perry[2], who is a faculty member at Stanford’s Center for International Security and Cooperation).
Pour Stephen Cohen qui s’exprimait ainsi dans l’émission de John Bachelor[3] reprise par le magazine américain « The Nation » (« The John Bachelor show »), les hommes politiques américains ne sont pas à la hauteur de la situation. Les provocations vis à vis de la Russie se poursuivent, montrant qu’à Washington, un certain nombre de politiciens n’ont pas abandonné leur rêve de changement de régime en Russie.
Ainsi, le président ukrainien déclarait récemment qu’il avait décidé de ne pas appliquer les accords de Minsk, pourtant garantis par l’Allemagne et la France, à côté de la Russie, sans déclencher de réaction ni du côté européen, ni du côté américain. De leur côté, les Etats-Unis annonçaient leur intention de quadrupler les dépenses militaires de l’Otan en Europe. C’est la première fois qu’autant de forces de l’Otan se massent à la frontière russe. La Russie répond en déplaçant  ses forces nucléaires vers l’ouest du pays. Elle organise également des manœuvres de grande ampleur dans le sud ouest du pays et un responsable militaire russe annonce qu’il s’agit aussi d’un signal en direction de la Turquie !
Car c’est du côté de la Syrie que vient le réel danger aujourd’hui. Les Etats-Unis ont abandonné le dossier ukrainien à l’Union Européenne qui, elle, a autre chose à faire qu’à s’occuper de ce dossier pourtant si important pour l’avenir de l’Union Européenne et de ses relations avec la Russie.
En Syrie, deux acteurs commencent à s’agiter dangereusement, la Turquie et l’Arabie Saoudite. Les deux ont mentionné la possibilité d’une intervention militaire sur le terrain et c’est cette intervention qui pourrait déclencher l’irréparable. N’oublions pas que la Russie a actuellement quelques vingt mille soldats sur le territoire syrien. Que fera-t-elle pour les protéger en cas d’invasion par ces deux pays. Seule les Etats-Unis ont le pouvoir d’empêcher leurs deux alliés de mettre ces projets à exécution. Mais ce pouvoir est-il encore réel ? Du côté turc, Recep Tayyip Erdogan semble prêt à tout pour défier la Russie comme il l’a montré en faisant abattre le bombardier russe au dessus de la Syrie. Il se croit protégé par son appartenance à l’Otan. Cette protection a des limites, mais en est-il conscient ? Le lui a-t-on expliqué ? L’article 5 du traité de l’Atlantique Nord prévoit qu’en « cas d’attaque d’un des pays membres, les autres pays prendront les mesures qu’ils jugeront nécessaires, y compris (mais donc pas nécessairement) l’usage de la force armée pour rétablir et maintenir la sécurité de la zone de l’Atlantique Nord[4] ». On connaît la réticence des Etats-Unis à signer des accords qui les entraineraient de façon automatique dans des actions extérieures.
Peut-on faire confiance au dirigeant turc dont les accès de mégalomanie et le mépris des lois de son propre pays est notoire.
La partie saoudienne n’est guère plus rassurante. L’inexpérience et l’agressivité du Prince Mohammad bin Salman, fils du roi Salman et ministre de la défense du royaume ne porte pas à l’optimisme. On en revient donc à Barak Obama et à l’évaluation de sa capacité à retenir les dirigeants des deux pays.
Dans un article paru sur son site, le journaliste d’investigation américain Robert Parry[5] ne semble pas convaincu que le président américain ait la volonté de s’opposer à l’Arabie Saoudite et à la Turquie. Et il semblerait qu’il ne soit pas le seul dans son cas. D’autres personnes doutent de la volonté d’Obama et c’est pourquoi certaines des sources de Robert Parry lui donnent des informations classées. Ainsi, Parry peut-il écrire : « Une source proche du président Vladimir Poutine m’a dit que la Russie avait prévenu Erdogan qu’elle était prête, en cas de besoin, à utiliser des armes nucléaires tactiques pour protéger ses troupes face à une attaque turque ou saoudienne». (« A source close to Russian President Vladimir Putin told me that the Russians have warned Turkish President Recep Tayyip Erdogan that Moscow is prepared to use tactical nuclear weapons if necessary to save their troops in the face of a Turkish-Saudi onslaught.”). Jusqu’à présent, et cela fait de nombreuses années que je lis les articles de Robert Parry, il n’a jamais mentionné de sources « proches de Vladimir Poutine ». En revanche, il mentionne souvent des sources internes aux services de sécurité américains. Je pense donc que l’information lui a été fournie par une de ces sources qui lui a parlé afin que la nouvelle soit rendue publique pour faire pression sur Barak Obama. Quant aux services américains, ils tiennent certainement la nouvelle de la Russie elle-même qui aura prévenu les Etats-Unis et l’Otan de ses intentions comme elle le fait régulièrement.
Ce qui amène Robert Parry à poser la question suivante : « Allons-nous risquer une guerre nucléaire pour AlQaïda ? » Barak Obama a cherché et cherche à calmer son dangereux allié Erdogan, mais il ne semble pas, pour l’instant au moins, décidé à interdire directement toute intervention au sol en Syrie. Le dilemme, pour lui, est que des alliés traditionnels des Etats-Unis comme la Turquie, l’Arabie Saoudite ou le Qatar sont les principaux soutiens et « banquiers » de divers groupes terroristes sunnites comme le Front Al Nusra, un allié d’Al Qaïda et dans une moindre mesure, de l’Etat Islamique.
Cette situation ne date évidemment pas d’hier et comme le mentionne Robert Parry dans son article, un rapport de la DIA (Defense Intelligence Agency) daté d’août 2012 faisait état du danger que représentait la montée en puissance d’Al Qaïda et d’autres groupes djihadistes sunnites en Syrie qui pourrait amener la création d’un « état islamique » dont les membres pourraient ensuite retourner en Irak d’où la plupart d’entre eux venait. Malgré tout, les Etats-Unis ont continué à soutenir ces mouvements prétendant qu’il s’agissait d’une « opposition modérée », opposition qui présentait, pour les mouvement plus violent, la possibilité de recevoir des approvisionnements en armes et munitions américaines.
Aux Etats-Unis mêmes, Barak Obama est soumis à une intense pression du parti de la guerre dont le porte parole, le quotidien « The Washington Post » déplore l’action « sauvage » de la Russie en Syrie[6], contre l’opposition modérée, dans laquelle l’éditorialiste semble ranger le Front Al Nusra !
Robert Parry va jusqu’à envisager, dans la conclusion de son article la possibilité que les Etats-Unis fassent cause commune avec la Turquie et l’Arabie Saoudite dans l’invasion de la Syrie. Non pas officiellement, bien sûr. Il pense que l’opération pourrait être présentée comme une sorte de « mission humanitaire ».
Pourtant, la Russie l’a dit clairement, « toute intervention au sol sans l’aval officiel de Damas sera considéré comme une déclaration de guerre ». Evidemment s’il juge la détermination russe à l’aune de sa propre détermination, ce qui serait logique, Obama peut penser que la Russie a tracé là une « ligne rouge » qu’elle ne défendra pas, comme lui même l’avait fait avec l’utilisation d’armes chimiques. Mais le président russe n’est pas de la même trempe. Il prévient sans vraiment menacer et agit ensuite suivant ce qu’il avait annoncé. C’est vrai qu’il est peut-être le seul à se comporter de la sorte aujourd’hui, mais il faudrait tout de même y réfléchir, les enjeux n’ont jamais été aussi élevés !
La Russie n’a fait que deux déclarations à propos d’une éventuelle invasion : la première « si des troupes d’une quelconque nation entrent en Syrie sans la permission de Damas, ce sera considéré comme une déclaration de guerre » et la deuxième, « les Américains, le président américain et nos partenaires arabes doivent se demander s’ils souhaitent une guerre permanente ».
Certains états arabes se comportent encore comme s’ils se disaient « les Russes n’oseront pas ». Après ce qui s’est passé en Lybie, je ne parierais pas grand chose là dessus !
Le dernier attentat qui a tué au moins vingt huit personnes à Ankara n’a certainement pas arrangé la situation. Les autorité turques ont accusé les Kurdes. Erdogan est resté plus vague, selon un article du Wall Street Journal, il aurait déclaré : « Ceux qui pensent pouvoir détourner notre pays de ses objectifs en utilisant le terrorisme vont voir qu’ils ont échoué ». A qui pense-t-il en disant cela, les Kurdes, l’Iran, la Russie ?

jeudi 4 février 2016

Défilé pathétique à Moscou


Depuis quelques mois, des chefs de gouvernement, des ministres européens défilent à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine ou Dimitri Medvedev ou encore Serguei Lavrov. Du côté français on a vu François Hollande, Segolène Royal, Stéphane Le Fol ou Emmanuel Macron. En décembre, c’est Jean-Yves Le Drian qui rencontrait à Moscou son homologue russe Serguei Shoïgou. Contrairement à ce qu’a raconté l’AFP, l’ambiance de la rencontre a été plutôt chaleureuse, le ministre français rappelant, dans sa déclaration liminaire, les combats et les victoires conjointes pendant la seconde guerre mondiale et insistant sur sa visite, la veille, au monument aux morts pour honorer le 70e anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale. Une façon de montrer ses regrets de ne pas avoir assisté au défilé du 9 mai l’année dernière. La France, sous la pression de « qui vous savez » avait fait comme la plupart des pays européens dans le but assez cocasse d’« isoler la Russie ». L’isoler de qui ?
Tous ces responsables politiques français lors de leur passage à Moscou ont exprimé leur désir de voir le régime des sanctions contre la Russie aboli le plus rapidement possible. Emmanuel Macron, prudent, a tout de même rappelé que ces sanctions dépendaient de la situation en Ukraine (il n’est quand même pas allé jusqu’à mentionner la Crimée). Stéphane Le Fol a rappelé ce que les sanctions coûtaient à l’agriculture française.
Le Vice-Chancelier autrichien,  Reinhold Mitterlehner, de passage à Moscou lui aussi, déclarait récemment qu’il était pour la levée des sanctions mais que la décision ne dépendait pas de lui.
Mais tous n’avaient pas besoin de passer par Moscou pour déclarer leur « opposition » aux sanctions. Le premier ministre italien l’a fait, en Allemagne, Matthias Platzeck ancien président de la chambre haute du parlement allemand rappelait hier qu’il s’était opposé aux sanctions depuis le début. En janvier, Wolfgang Ischinger, le président de la « Conférence de Sécurité de Munich » déclarait que les entreprises allemandes voulaient une levée des sanctions « aujourd’hui, pas dans un an ». En décembre, le président de la Chambre de Commerce Germano-Russe, Rainer Seele tenait le même langage. Mais, le 1er février, Mme. Merkel, elle, annonçait que les sanctions allaient être maintenues jusqu’à nouvel ordre.
Je ne mentionne pas les députés d’opposition français qui défendent aussi ces position, après tout ils n’ont pas le pouvoir pour le moment, donc leurs déclarations n’ont pas le même poids politique.
Ainsi donc, à quoi jouent nos dirigeants. A les entendre, ces sanctions sont une mauvaise idée et il faudrait les lever sans délai (ou presque). Mais quand la question vient sur la table de la commission européenne, les sanctions sont reconduites « à l’unanimité » comme en fin d’année dernière (sanctions reconduites jusqu’au 31 juillet 2016).
On peut donc se poser légitimement la question de savoir qui nous dirige. C’est en cela que je trouve ces positions « pathétiques ». Essaient-t-ils encore de nous faire croire que ce sont eux qui dirigent ? Dans ce cas, il le feraient de la manière la plus maladroite qui soit. Leurs déclarations sont régulièrement contredites par la Commission Européenne. Ou alors, serait-il possible qu’à force de faire eux-mêmes, dans leurs discours politiques, des promesses dont ils savent bien qu’ils ne pourront les tenir, il ne saisissent pas ici la nuance ?
Il semblerait donc bien que, dans le cas des sanctions contre la Russie, ce soit le Commission Européenne qui soit à la manœuvre. Si elle contredit les promesses des dirigeants politiques des pays membres, on est fondé à se demander en fonction de quoi prend-elle ses décisions.
Je vois deux éléments de réponse à cette question. La première se trouve dans la réaction des dirigeants américains à ce qui se passe actuellement en Europe. Ainsi,  « Depuis plusieurs mois, j'ai entendu dire que de nombreux pays, surtout l'Allemagne, connaissent une forte pression visant à annuler les sanctions, la décision définitive sur la levée des sanctions dépendra dans une certaine mesure du leadership américain » déclarait le sénateur John McCain. « Il est important pour moi que nous continuions à lancer ce message: si vous vous comportez mal, nous continuerons d'introduire les sanctions ». Nous savons tous ce que les dirigeants américains entendent par « se comporter mal »…
Le deuxième élément de réponse se trouve dans la façon dont sont menées les négociations à propos du TTIP, entre la Commission Européenne et les Etats-Unis, des négociations dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont menées dans un climat d’opacité très supérieur à la moyenne ! Dans un article publié par le quotidien anglais « The Independant », l’auteur, John Hilary rapporte une interview qu’il a eue avec le Commissaire au Commerce, Cecilia Malmström, qui succède à ce poste à Peter Mandelson. Il lui fait remarquer qu’une importante opposition à ce traité qu’elle négocie à huis clos s’est exprimée sous la forme de milliers manifestations dans la plupart des pays européens et d’une pétition signée par 3,25 millions de citoyens européens. Dans sa réponse, Mme Malmström reconnaît qu’aucun projet de traité n’a jamais rencontré une telle opposition mais ajoute que, de toute façon, elle « ne tient pas son mandat du peuple européen ».
John Hilary, dans la suite de son article explique que Cecilia Malmström, prend ses instructions auprès de lobbies industriels comme « Business Europe » ou le « European Services Forum ». Il n’est donc pas étonnant que le TTIP serve les intérêts des multinationales plutôt que les besoins des populations européennes.
Cela se traduit en particulier par la possibilité qui serait donnée aux entreprises internationales de poursuivre les états pour « pertes de profits ». Ce serait la généralisation du mécanisme de règlement des litiges entre l'investisseur et l'Etat (ISDS) par des tribunaux d'arbitrage autorisant les entreprises privées à poursuivre les gouvernements nationaux pour perte de profits. « The Independant » rappelait ainsi récemment que le Royaume-Uni a été contraint de payer huit millions d'euros au groupe Eurotunnel à titre d'indemnisation des dépenses assumées par ce dernier entre 1999 et 2002 pour empêcher les migrants d'entrer sur le territoire britannique.
Pour se rendre compte du danger d’une telle mesure, il suffit de considérer ce qui arrive au Canada qui a signé l’accord Tafta avec les Etats-Unis, accord dans lequel une telle disposition est inclue. Entre 1995 et 2005, d’après le Huffington Post Canadien, le pays a été attaqué douze fois par des multinationales sous couvert de cette disposition (« Chapitre 11 ») alors qu’entre 2005 et 2015, il l’a été 23 fois. Soixante trois pour cent de ces attaques concernaient des législations sur la protection de l’environnement et lorsque le gouvernement a perdu ces arbitrages il a été obligé de modifier ou de supprimer les législations en cause. Il y a actuellement huit affaires en cours, toutes intentées par des société américaines pour un montant total de six milliards de dollars.
Il apparaît donc que la Commission Européenne prépare la signature d’un traité taillé sur mesure pour les multinationales (les plus importantes sont américaines) au mépris des intérêts des citoyens européens. Mais comment s’en étonner après que Jean-Claude Junker ait déclaré à propos de la Grèce :  « Il ne peut pas y avoir de choix populaire contre les traités européens » !
Pendant ce temps là, les Etats-Unis ont signé hier, officiellement le TTP, équivalent asiatique du TTIP avec l'Australie, Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. A la suite de cette signature, la Maison Blache a publié un communiqué dans lequel le président Obama se félicitait de la signature d’un accord qui «renforcera notre leadership à l'étranger et soutiendra les emplois ici aux Etats-Unis»[1]. Doit-on parler de cynisme, de franchise ou de maladresse ? En tout cas, ce traité doit encore être ratifié par les parlements des différents pays et cela pourrait poser des problèmes, même avec le sénat américain.
Quand le sort de l’Europe se joue à huis clos entre une Commission Européenne acquise aux intérêts des multinationales et les représentants du « Business » américain, sur le dos des citoyens, il est vraiment pathétique d’entendre nos dirigeants parler de faire des choses dont ils savent pertinemment que « Bruxelles » ne les laissera pas les faire. Ont-ils vraiment perdu le sens de la réalité, ou cherchent-ils maladroitement à cacher une impuissance à laquelle ils se sont résignés sans combattre ?


mardi 26 janvier 2016

LITVINENKO est mort


Dans cette affaire qui a fait grand bruit, et en fait de nouveau, la seule certitude que nous ayons est qu’Alexandre Litvinenko est mort.
Le 23 novembre 2006, Alexandre Litvinenko mourrait dans un hôpital londonien. Peu de temps avant sa mort, son « ami » Alexandre Goldfarb lisait à la presse la dernière déclaration de son « ami » dans laquelle Alexandre Litvinenko accusait Vladimir Poutine d’avoir ordonné son meurtre. Rien ne prouve que la déclaration était bien de Litvinenko lui-même, et non de Goldfarb qui le conseillait depuis son arrivée à Londres ou de Boris Berezovsky qui le soutenait financièrement.
Ainsi commençait une longue saga dans laquelle deux thèses s’affrontent et qui a connu un nouveau développement récent avec les déclarations du juge anglais Robert Owen pour qui, le meurtre est une opération du FSB russe, « probablement approuvée par M. Patrouchev (Nikolaï Patrouchev, ex-chef du FSB), et aussi par le président Poutine ». Le « probablement » a évidemment une résonnance étrange dans la bouche d’un juge qui vient de boucler une enquête vieille de plus de huit ans et dont le rapport ne comporte pas moins de trois cent pages. On remarquera au passage que la « conviction molle » du juge est fondée sur les déclarations secrètes de membres non désignés d’un service secret non mentionné.
Mais revenons d’abord quelques année en arrière, à la fin des tristement célèbres années 90 en Russie. Alexandre Litvinenko y a occupé un poste subalterne au KGB, d’où il a participé à des enquêtes sur le crime organisé. Il faut dire qu’à cette époque, le crime organisé était florissant dans une jeune Fédération de Russie livrée, par son président Boris Eltsine, au pouvoir des oligarques qui en ont profité pour s’enrichir outrageusement et mettre le pays en coupe réglée, sous la responsabilité de Boris Berezovsky, l’éminence grise du Kremlin. C’est ce même Berezovky que l’on retrouvera également, quel hasard, à Londres au début des années 2000.
Dans cette ambiance de « coups tordus » Alexandre Litvinenko s’est retrouvé accusé de malversations et a même été emprisonné un temps. Relâché contre la promesse de ne pas quitter le pays, il s’enfuit à Londres via la Turquie, grâce à un faux passeport. Il sera aidé en cela par un nouvel « ami », Alexandre Goldfarb, un personnage que l’on va retrouver aussi, plus tard, dans les évènements de Londres liés à cette affaire.
Qui est Alexandre Goldfarb ? C’est un scientifique soviétique dissident qui a quitté l’URSS dans les années 70 pour rejoindre l’université de Columbia, une célèbre université privée de New York. Après la chute de l’URSS en 1991, Goldfarb est recruté par Georges Soros, le « grand ami de la Russie » que l’on sait, pour diriger les projets de la Fondation Soros en Russie. C’est là qu’il rencontre Alexandre Litvinenko avec qui il « sympathise » et qu’il aide ensuite à fuir la justice russe via la Turquie. Nous savons comme les Etats-Unis étaient particulièrement intéressés par les dissidents qu’ils choyaient, tout le temps que ces derniers disaient du mal de leur pays. L’un des plus célèbres a été Alexandre Soljénitsine qui, il faut le dire, était d’un autre calibre intellectuel que Alexandre Litvinenko. Les dirigeants américains ont accueilli et soutenu Soljénitsine tout le temps qu’ils ne comprenaient pas qui il était et ce qu’il disait vraiment.
Apparemment, c’est Goldfarb qui a été chargé ensuite de veiller sur Litvinienko. Il l’a, en particulier, aidé à rédiger ses mémoires dans lesquelles il dénonçait les excès de FSB, le gouvernement de Vladimir Poutine et tout ce qu’il pouvait dénoncer à propos de la Russie. L’importance d’Alexandre Litvinenko aussi bien au KGB, puis au FSB que comme « dissident » a été évidemment grandement exagérée pour donner autant de poids que possible à ses accusations. De telles accusations venant d’un employé subalterne qui plus est recherché par la justice de son pays ne pesaient évidemment pas grand poids. Jusqu’à ce que ce quasi inconnu ne meure d’une manière dramatique. Son agonie qui a duré deux semaines a été médiatisée grâce à des images et des communiqués de presse soigneusement calibrés par des professionnels de la communication. Il fallait absolument montrer à quel point la Russie était un pays dangereux, pour le monde entier et dans le monde entier.
Rien n’a été laissé au hasard par une équipe de professionnels de la communication, car Litvinenko n’apportait pas beaucoup de preuves de ce qu’il disait. Tout a donc été fait pour que le public ne se pose pas la question de la véracité des accusations.
Le thème « Poutine l’a fait » a bien fonctionné au départ, mais pour le faire durer il aurait fallu apporter des preuves. Ces preuves évidemment n’existaient pas. On a donc lancé le public dans une autre direction et on a expliqué qu’Alexandre Litvinenko enquêtait sur l’assassinat non résolu de la journaliste Anna Politkovskaya, une autre affaire qui avait défrayé la chronique en 2006. L’ampleur du mouvement de contestation international après ce meurtre assurait une place en première page au protégé d’Alexandre Goldfarb, une fois qu’il y était lié. On aurait pu se demander alors à quel titre Litvinenko enquêtait-il sur ce meurtre ? Il n’était pas journaliste, il n’était pas enquêteur privé agissant pour le compte d’un client. En revanche le mystère ayant entouré le meurtre de la journaliste et le fait que les médias occidentaux aient déjà mis en cause le président russe dans cette affaire ne pouvait que renforcer l’impact des « révélations » de Litvinenko, tout en évitant le problème quasi insoluble des preuves inexistantes.
Après la mort d’Alexandre Litvinenko aucun de mes confrères sévissant dans les médias « bien pensants » n’a, à ma connaissance, posé cette question. Aucun non plus n’a posé une autre question qui semblait évidente : « Cette présentation implique qu’il a été tué pour l’empêcher de révéler des secrets embarrassants pour des personnes haut placées (en Russie évidemment puisque le meurtre aurait été ordonné de là-bas). Mais son agonie a duré au moins deux semaines. Se sachant mourant et victime d’un empoissonnement, pourquoi n’avoir rien dit à ce moment là ? » Il a pourtant donné de nombreux interview, mais il n’a rien dit, sauf bien sûr dans la « dernière déclaration » lue par Goldfarb et dont rien ne prouve qu’elle soit de lui. Cela ne vous étonne pas ?
Le thème a été utilisé avec force détails par « The Gardian », en particulier. Le quotidien anglais à même reproduit une accusation de Boris Berezovsky « Vladimir Poutine a autorisé le meurtre d’Alexandre Litvinenko ». La déclaration n’était évidemment assortie d’aucune preuve, mais que pèsent les preuves dans le domaine de la communication ? Elle sont pourtant à la base du métier de journaliste. Nous sommes donc d’accord il s’agit de communication et non de journalisme. Ainsi, le 20 novembre 2006, le « London Times » écrivait : « Des diplomates ont déclaré hier que la Grande Bretagne sera plongée dans la pire crise diplomatique avec la Russie depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, si l’enquête de Scotland Yard sur la mort d’un ancien agent russe mène au Kremlin ». Des diplomates, quels diplomates ? Voilà une façon d’insinuer qui ressemble diablement aux déclarations du juge Owen pour qui « il est probable que Vladimir Poutine ait approuvé le meurtre ».
Il est temps de revenir sur le rôle de quelqu’un dont nous avons déjà mentionné le nom plus haut et qui est un des personnages centraux de cette affaire : Boris Berezovsky. Brillant esprit, docteur en mathématiques, membre associé de l’académie des sciences en 1991, Berezovsky a su tirer profit du chaos économique et politique des années 90 en Russie pour accumuler une fortune évaluée par Forbes à trois milliards de dollars (une somme réduite ensuite à 1,3 milliards suite à une décision de la justice russe à l’issue d’un procès en diffamation que Berezovsky lui-même avait intenté à Forbes). Il a su également s’immiscer dans les cercles politiques influents au Kremlin pour devenir rapidement une sorte d’éminence grise du régime Eltsine. Il a gagné ses premiers millions en achetant à Avtovaz, le plus grand constructeur automobile russe, des voitures qu’il payait, à crédit, en dessous de leur prix de revient et qu’il revendait en espèce et en dollars à des particuliers. Il versait ensuite le prix en rouble avec plusieurs mois de délai. Ainsi, il empochait à la fois le différentiel de prix, mais aussi le profit de change dans une économie où le rouble baissait régulièrement et où l’inflation était à trois chiffres. Comment pouvait-il acheter les voitures en dessous de leur prix de revient ? Un des directeurs d’Avtovaz était son partenaire dans l’affaire… Il a ensuite dirigé la compagnie aérienne Aeroflot pour laquelle il a monté une comptabilité parallèle afin de conserver à l’étranger le produit de la vente de billets en dollars. La justice l’a poursuivi pour avoir un peu confondu ce compte en dollars d’Aéroflot avec ses comptes personnels.
Homme de réseaux, Berezovsky a traité avec toutes sortes de partenaires y compris les moins recommandables et les plus dangereux. D’après Paul Khlebnikov, le journaliste russo-américain directeur de Forbes Russie, son partenaire d’affaire Badri Patarkatsishvili, était son correspondant avec la mafia géorgienne. On lui prêtait aussi des liens avec la mafia Tchétchène ce que semble confirmer les liens qu’il entretenait à Londres avec Akhmed Zakaïev, l’émissaire des séparatistes Tchétchènes, recherché par la justice russe pour création de bandes armées, pour plus de 300 meurtres et des enlèvements. Boris Berezovsky a d’ailleurs été victime, en Russie, de plusieurs tentatives d’assassinat dont une a coûté la vie à son chauffeur quand une bombe a explosé sous sa voiture.
Lorsque Vladimir Poutine a repris la Russie en main, il a mis fin au pouvoir des oligarques dans la politique russe, et Boris Berezovsky a dû quitter le pays après avoir vendu, assez mal vu les circonstances ses actions dans des sociétés comme Sibneft ou la première chaine de télévision ou encore Kommersant qui publiait des journaux et magazines connus. Après avoir cru qu’il pourrait manipuler Vladimir Poutine comme il l’avait fait avec Boris Eltsine, la déception a été grande. Elle s’est doublé d’une blessure d’orgueil, Boris Berezovsky ayant expliqué que c’est lui qui avait poussé la candidature de Vladimir Poutine.
Rien d’étonnant à ce que l’on retrouve donc son nom mêlé à cette affaire de meurtre impliquant des personnes réputées être « opposées au Kremlin ». D’autant que son lien avec eux était ancien, Alexandre Litvinenko et Andrei Lugovoï ont travaillé pour Boris Berezovsky en Russie dans les années 90.
Dans un article paru dans son édition daté du 23 mai 2007, le « New York Times » décrit Lugovoï comme un « ancien agent du KGB, un homme d’affaires, ennemi du Kremlin et opposant de Vladimir Poutine ». Il ne vous aura pas échappé, donc, que pour le « New York Times » et un grand nombre de quotidiens occidentaux, on aurait recruté un « ennemi du Kremlin et opposant de Vladimir Poutine » pour aller tuer à Londres un « opposant au Kremlin en exil, ennemi de Vladimir Poutine » !
Plus sérieusement, le « Financial Times » et un autre quotidien anglais, « The Independant » nous indiquent que la société de Lord Bell, « Bell Pottinger Communications », gérait les demandes d’informations des médias sur cette affaire, et distribuait des communiqués de presse et des photos d’Alexandre Litvinenko sur son lit d’hôpital. Le « Financial Times » ajoutait que Lord Bell avait représenté Boris Berezovsky en Angleterre pendant quatre ans.
Il n’est pas beaucoup plus facile de se faire une idée de ce qui s’est passé réellement en étudiant les divers témoignages disponibles. Alors qu’Alexandre Litvinenko est sur son lit d’hôpital, on nous explique qu’il a été empoisonné au thallium, un métal lourd dont l’ingestion par l’homme est mortelle à de très faibles doses. Ce n’est que le jour de la mort de Litvinenko que l’on a parlé plutôt de polonium. Le changement de poison a été accompagné par de nombreux articles expliquant qu’il n’y avait plus guère qu’en Russie que l’on pouvait en trouver. On comprend donc l’avantage du polonium sur le thallium. On nous a alors expliqué que l’on avait retrouvé des traces de polonium qui traversaient l’Europe de Russie en Angleterre, via Hambourg où vit l’ex-épouse d’Andrei Lugovoï. Un vrai chemin de « Petit Pousset" ! Mais il semblerait que l’Urss n’étaient pas le seul pays à produire du polonium dont la fabrication ne demande pas des compétences chimiques très poussées. Pour William Harper, physicien de l’université de Princeton, le polonium est présent dans un grand nombre de produits d’utilisation assez courante : « vous pouvez en trouver partout » aurait-il déclaré au journaliste du « New York Times » qui l’a interviewé et a titré son article « Polonium : 22,50 dollars plus les taxes », expliquant que c’était, à son avis, le prix de la dose nécessaire à tuer un homme.
Des sources en Russie ont étudié cette piste et Serguei Sokolov, qui a été un temps le chef de la sécurité de Boris Berezovsky dans les années 90 a retrouvé la trace de vieux conteneurs déposés dans une ancienne usine secrète soviétique et désaffectée, sur une ancienne île de la mer d’Aral (à Barsa-Kelmes) ayant contenu du polonium. Il mentionne une visite de l’usine par une équipe inconnue, à son avis envoyée par la CIA ou le MI6, qui aurait emporté un conteneur de polonium qui aurait ensuite été acheminé en Angleterre via Astrakhan, Batoumi (Géorgie), Trabzon (Turquie) et Istanbul. Pour Sokolov, il ne s’agissait pas d’utiliser ce polonium pour tuer Alexandre Litvinenko, mais simplement d’un trafic auquel ce dernier était mêlé.
Au delà des déclarations de l’ancien chef de la sécurité de Boris Berezovsky, il y a un certain nombre de faits qui semblent aller dans le sens du trafic et de l’erreur de manipulation. Ainsi, le 1er novembre 2006, Alexandre Litvinenko avait tout d’abord rendez-vous pour déjeuner avec Mario Scaramella, un Italien spécialiste des déchets radioactifs et censé lui remettre des documents liés au meurtre d’Anna Politkovskaya (d’ou cet Italien vivant à Naples tenait-il ce genre de documents ?). Les deux hommes se sont vus dans le restaurant de sushi "Itsu". Or des traces de polonium ont été relevées dans ce restaurant dans lequel ni Alexandre Lugovoï, ni Anton Kovtun, son présumé complice n’avaient, mis les pieds. Les traces de polonium étaient assez importante pour justifier le contrôle par la police italienne du domicile de Scaramella à Naples et de l’école de ses enfants. Questionné sur les résultats de ces recherches, Scaramella a déclaré que ces résultats étaient secret et qu’il n’en avait pas été informé par la police.
A Londres, des traces de polonium ont été trouvées à l’Hôtel Sheraton de Park Lane, dans les bureaux de Boris Berezovsky et au bar de l’hôtel Millenium où les trois hommes se sont rencontrés. Les trois derniers emplacements pourraient « coller » avec l’hypothèse de l’empoisonnement par Lugovoï et Kovtun, mais pas le premier, le restaurant « Itsu » !
Plus étonnant encore, des traces de polonium ont été trouvées également dans un restaurant, l’ « Abracadabra », appartenant à « Lord » David West et spécialisé dans la cuisine russe. Ce même David West s’apprêtait à fournir au juge anglais chargé de l’enquête, les reçus de carte de crédit prouvant qu’Alexandre Litvinenko était dans son restaurant deux jours avant de rencontrer Lugovoï et Kovtun. Malheureusement, David West était poignardé chez lui avant de pouvoir rencontrer le juge. Ce sont certainement ces éléments qui font que, dans son exposé, la semaine dernière, le juge Robert Owen a précisé qu’Alexandre Litvinenko avait bien été empoisonné au polonium par Alexandre Lugovoï le 1er novembre à l’hôtel Millenium, mais a ajouté qu’il avait reçu quelques jours plus tôt, une dose moins forte de ce polonium, ce qui justifiait à postériori les traces mentionnées ci-dessus.
Le déroulé de l’enquête non plus n’est pas très clair. Après avoir été accusée d’être l’origine du polonium par la justice anglaise, la Russie a demandé communication des résultats d’analyse sur la base desquels elle se disait capable de déterminer l’origine précise du polonium, chaque producteur étant identifiable à partir du produit. Ces résultats d’analyse n’ont jamais été fournis. En 2013, l’enquête a été enterrée et le dossier fermé six mois plus tard.
Mais ensuite, il y a eu la Crimée, le Donbass, le crash du vol MH17… L’enquête a été rouverte pour donner le résultat que l’on sait maintenant. A la suite des déclarations du juge Owens, David Cameron a déclaré qu’il fallait « punir » la Russie avant d’ajouter quelques heures plus tard, ou le lendemain, que l’Angleterre avait besoin de coopérer avec la Russie sur le dossier Syrien. Or s’il existe des personnes qui connaissent la vérité sur l’affaire, sur l’implication de divers services secrets dans le meurtre de Litvinenko et ceux qui ont suivi, David Cameron doit en faire partie.
En plus, en réfléchissant calmement, pourquoi quelqu’un utiliserait une « arme radioactive » pour tuer un homme quand un couteau, une balle ou un poison traditionnel ferait l’affaire de façon beaucoup plus sûre et moins dangereuse pour le meurtrier lui-même ?
Tout ceci laisse à penser que « l’opération Alexandre Litvinenko » était soit un coup monté pour déstabiliser la Russie et son président, soit, plus vraisemblablement, la récupération médiatique d’un accident de manipulation de polonium par la victime elle-même. L’homme était comme un cadeau du ciel pour les manipulateurs de tous poils à la recherche de « dissidents » prêts à dire du mal de la Russie dans le porte voix des médias occidentaux. Alexandre Goldfarb qui travaillait alors pour la fondation de George Soros a joué tout d’abord le rôle de rabatteur, avant de participer, à Londres à la mise en scène. Je ne pense pas que Boris Berezovsky soit mêlé directement au meurtre mais je crois qu’il y a simplement vu un moyen supplémentaire d’assouvir son désir de vengeance contre le président russe. Il a certainement participé à la mise en scène, il était certainement au courant des dessous de l’affaire et c’est peut-être ce qui est à l’origine du « suicide » qui lui a couté la vie, d’autant qu’on lui prêtait l’intention de rentrer en Russie après avoir demandé le pardon de Vladimir Poutine. Il fallait l’empêcher de parler.