jeudi 4 février 2016

Défilé pathétique à Moscou


Depuis quelques mois, des chefs de gouvernement, des ministres européens défilent à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine ou Dimitri Medvedev ou encore Serguei Lavrov. Du côté français on a vu François Hollande, Segolène Royal, Stéphane Le Fol ou Emmanuel Macron. En décembre, c’est Jean-Yves Le Drian qui rencontrait à Moscou son homologue russe Serguei Shoïgou. Contrairement à ce qu’a raconté l’AFP, l’ambiance de la rencontre a été plutôt chaleureuse, le ministre français rappelant, dans sa déclaration liminaire, les combats et les victoires conjointes pendant la seconde guerre mondiale et insistant sur sa visite, la veille, au monument aux morts pour honorer le 70e anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale. Une façon de montrer ses regrets de ne pas avoir assisté au défilé du 9 mai l’année dernière. La France, sous la pression de « qui vous savez » avait fait comme la plupart des pays européens dans le but assez cocasse d’« isoler la Russie ». L’isoler de qui ?
Tous ces responsables politiques français lors de leur passage à Moscou ont exprimé leur désir de voir le régime des sanctions contre la Russie aboli le plus rapidement possible. Emmanuel Macron, prudent, a tout de même rappelé que ces sanctions dépendaient de la situation en Ukraine (il n’est quand même pas allé jusqu’à mentionner la Crimée). Stéphane Le Fol a rappelé ce que les sanctions coûtaient à l’agriculture française.
Le Vice-Chancelier autrichien,  Reinhold Mitterlehner, de passage à Moscou lui aussi, déclarait récemment qu’il était pour la levée des sanctions mais que la décision ne dépendait pas de lui.
Mais tous n’avaient pas besoin de passer par Moscou pour déclarer leur « opposition » aux sanctions. Le premier ministre italien l’a fait, en Allemagne, Matthias Platzeck ancien président de la chambre haute du parlement allemand rappelait hier qu’il s’était opposé aux sanctions depuis le début. En janvier, Wolfgang Ischinger, le président de la « Conférence de Sécurité de Munich » déclarait que les entreprises allemandes voulaient une levée des sanctions « aujourd’hui, pas dans un an ». En décembre, le président de la Chambre de Commerce Germano-Russe, Rainer Seele tenait le même langage. Mais, le 1er février, Mme. Merkel, elle, annonçait que les sanctions allaient être maintenues jusqu’à nouvel ordre.
Je ne mentionne pas les députés d’opposition français qui défendent aussi ces position, après tout ils n’ont pas le pouvoir pour le moment, donc leurs déclarations n’ont pas le même poids politique.
Ainsi donc, à quoi jouent nos dirigeants. A les entendre, ces sanctions sont une mauvaise idée et il faudrait les lever sans délai (ou presque). Mais quand la question vient sur la table de la commission européenne, les sanctions sont reconduites « à l’unanimité » comme en fin d’année dernière (sanctions reconduites jusqu’au 31 juillet 2016).
On peut donc se poser légitimement la question de savoir qui nous dirige. C’est en cela que je trouve ces positions « pathétiques ». Essaient-t-ils encore de nous faire croire que ce sont eux qui dirigent ? Dans ce cas, il le feraient de la manière la plus maladroite qui soit. Leurs déclarations sont régulièrement contredites par la Commission Européenne. Ou alors, serait-il possible qu’à force de faire eux-mêmes, dans leurs discours politiques, des promesses dont ils savent bien qu’ils ne pourront les tenir, il ne saisissent pas ici la nuance ?
Il semblerait donc bien que, dans le cas des sanctions contre la Russie, ce soit le Commission Européenne qui soit à la manœuvre. Si elle contredit les promesses des dirigeants politiques des pays membres, on est fondé à se demander en fonction de quoi prend-elle ses décisions.
Je vois deux éléments de réponse à cette question. La première se trouve dans la réaction des dirigeants américains à ce qui se passe actuellement en Europe. Ainsi,  « Depuis plusieurs mois, j'ai entendu dire que de nombreux pays, surtout l'Allemagne, connaissent une forte pression visant à annuler les sanctions, la décision définitive sur la levée des sanctions dépendra dans une certaine mesure du leadership américain » déclarait le sénateur John McCain. « Il est important pour moi que nous continuions à lancer ce message: si vous vous comportez mal, nous continuerons d'introduire les sanctions ». Nous savons tous ce que les dirigeants américains entendent par « se comporter mal »…
Le deuxième élément de réponse se trouve dans la façon dont sont menées les négociations à propos du TTIP, entre la Commission Européenne et les Etats-Unis, des négociations dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont menées dans un climat d’opacité très supérieur à la moyenne ! Dans un article publié par le quotidien anglais « The Independant », l’auteur, John Hilary rapporte une interview qu’il a eue avec le Commissaire au Commerce, Cecilia Malmström, qui succède à ce poste à Peter Mandelson. Il lui fait remarquer qu’une importante opposition à ce traité qu’elle négocie à huis clos s’est exprimée sous la forme de milliers manifestations dans la plupart des pays européens et d’une pétition signée par 3,25 millions de citoyens européens. Dans sa réponse, Mme Malmström reconnaît qu’aucun projet de traité n’a jamais rencontré une telle opposition mais ajoute que, de toute façon, elle « ne tient pas son mandat du peuple européen ».
John Hilary, dans la suite de son article explique que Cecilia Malmström, prend ses instructions auprès de lobbies industriels comme « Business Europe » ou le « European Services Forum ». Il n’est donc pas étonnant que le TTIP serve les intérêts des multinationales plutôt que les besoins des populations européennes.
Cela se traduit en particulier par la possibilité qui serait donnée aux entreprises internationales de poursuivre les états pour « pertes de profits ». Ce serait la généralisation du mécanisme de règlement des litiges entre l'investisseur et l'Etat (ISDS) par des tribunaux d'arbitrage autorisant les entreprises privées à poursuivre les gouvernements nationaux pour perte de profits. « The Independant » rappelait ainsi récemment que le Royaume-Uni a été contraint de payer huit millions d'euros au groupe Eurotunnel à titre d'indemnisation des dépenses assumées par ce dernier entre 1999 et 2002 pour empêcher les migrants d'entrer sur le territoire britannique.
Pour se rendre compte du danger d’une telle mesure, il suffit de considérer ce qui arrive au Canada qui a signé l’accord Tafta avec les Etats-Unis, accord dans lequel une telle disposition est inclue. Entre 1995 et 2005, d’après le Huffington Post Canadien, le pays a été attaqué douze fois par des multinationales sous couvert de cette disposition (« Chapitre 11 ») alors qu’entre 2005 et 2015, il l’a été 23 fois. Soixante trois pour cent de ces attaques concernaient des législations sur la protection de l’environnement et lorsque le gouvernement a perdu ces arbitrages il a été obligé de modifier ou de supprimer les législations en cause. Il y a actuellement huit affaires en cours, toutes intentées par des société américaines pour un montant total de six milliards de dollars.
Il apparaît donc que la Commission Européenne prépare la signature d’un traité taillé sur mesure pour les multinationales (les plus importantes sont américaines) au mépris des intérêts des citoyens européens. Mais comment s’en étonner après que Jean-Claude Junker ait déclaré à propos de la Grèce :  « Il ne peut pas y avoir de choix populaire contre les traités européens » !
Pendant ce temps là, les Etats-Unis ont signé hier, officiellement le TTP, équivalent asiatique du TTIP avec l'Australie, Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. A la suite de cette signature, la Maison Blache a publié un communiqué dans lequel le président Obama se félicitait de la signature d’un accord qui «renforcera notre leadership à l'étranger et soutiendra les emplois ici aux Etats-Unis»[1]. Doit-on parler de cynisme, de franchise ou de maladresse ? En tout cas, ce traité doit encore être ratifié par les parlements des différents pays et cela pourrait poser des problèmes, même avec le sénat américain.
Quand le sort de l’Europe se joue à huis clos entre une Commission Européenne acquise aux intérêts des multinationales et les représentants du « Business » américain, sur le dos des citoyens, il est vraiment pathétique d’entendre nos dirigeants parler de faire des choses dont ils savent pertinemment que « Bruxelles » ne les laissera pas les faire. Ont-ils vraiment perdu le sens de la réalité, ou cherchent-ils maladroitement à cacher une impuissance à laquelle ils se sont résignés sans combattre ?


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