Depuis quelques mois, des
chefs de gouvernement, des ministres européens défilent à Moscou pour
rencontrer Vladimir Poutine ou Dimitri Medvedev ou encore Serguei Lavrov. Du
côté français on a vu François Hollande, Segolène Royal, Stéphane Le Fol ou
Emmanuel Macron. En décembre, c’est Jean-Yves Le Drian qui rencontrait à Moscou
son homologue russe Serguei Shoïgou. Contrairement à ce qu’a raconté l’AFP,
l’ambiance de la rencontre a été plutôt chaleureuse, le ministre français
rappelant, dans sa déclaration liminaire, les combats et les victoires
conjointes pendant la seconde guerre mondiale et insistant sur sa visite, la
veille, au monument aux morts pour honorer le 70e anniversaire de la
fin de la deuxième guerre mondiale. Une façon de montrer ses regrets de ne pas
avoir assisté au défilé du 9 mai l’année dernière. La France, sous la pression
de « qui vous savez » avait fait comme la plupart des pays européens
dans le but assez cocasse d’« isoler la Russie ». L’isoler de
qui ?
Tous ces responsables
politiques français lors de leur passage à Moscou ont exprimé leur désir de
voir le régime des sanctions contre la Russie aboli le plus rapidement
possible. Emmanuel Macron, prudent, a tout de même rappelé que ces sanctions
dépendaient de la situation en Ukraine (il n’est quand même pas allé jusqu’à
mentionner la Crimée). Stéphane Le Fol a rappelé ce que les sanctions coûtaient
à l’agriculture française.
Le Vice-Chancelier autrichien, Reinhold Mitterlehner, de passage à Moscou
lui aussi, déclarait récemment qu’il était pour la levée des sanctions mais que
la décision ne dépendait pas de lui.
Mais tous n’avaient pas
besoin de passer par Moscou pour déclarer leur « opposition » aux
sanctions. Le premier ministre italien l’a fait, en Allemagne, Matthias
Platzeck ancien président de la chambre haute du parlement allemand rappelait
hier qu’il s’était opposé aux sanctions depuis le début. En janvier, Wolfgang
Ischinger, le président de la « Conférence de Sécurité de Munich »
déclarait que les entreprises allemandes voulaient une levée des sanctions
« aujourd’hui, pas dans un an ». En décembre, le président de la
Chambre de Commerce Germano-Russe, Rainer Seele tenait le même langage. Mais,
le 1er février, Mme. Merkel, elle, annonçait que les sanctions
allaient être maintenues jusqu’à nouvel ordre.
Je ne mentionne pas les
députés d’opposition français qui défendent aussi ces position, après tout ils
n’ont pas le pouvoir pour le moment, donc leurs déclarations n’ont pas le même
poids politique.
Ainsi donc, à quoi jouent
nos dirigeants. A les entendre, ces sanctions sont une mauvaise idée et il
faudrait les lever sans délai (ou presque). Mais quand la question vient sur la
table de la commission européenne, les sanctions sont reconduites « à
l’unanimité » comme en fin d’année dernière (sanctions reconduites jusqu’au
31 juillet 2016).
On peut donc se poser
légitimement la question de savoir qui nous dirige. C’est en cela que je trouve
ces positions « pathétiques ». Essaient-t-ils encore de nous faire
croire que ce sont eux qui dirigent ? Dans ce cas, il le feraient de la
manière la plus maladroite qui soit. Leurs déclarations sont régulièrement
contredites par la Commission Européenne. Ou alors, serait-il possible qu’à
force de faire eux-mêmes, dans leurs discours politiques, des promesses dont
ils savent bien qu’ils ne pourront les tenir, il ne saisissent pas ici la
nuance ?
Il semblerait donc bien
que, dans le cas des sanctions contre la Russie, ce soit le Commission
Européenne qui soit à la manœuvre. Si elle contredit les promesses des
dirigeants politiques des pays membres, on est fondé à se demander en fonction
de quoi prend-elle ses décisions.
Je vois deux éléments de
réponse à cette question. La première se trouve dans la réaction des dirigeants
américains à ce qui se passe actuellement en Europe. Ainsi, « Depuis plusieurs mois, j'ai entendu
dire que de nombreux pays, surtout l'Allemagne, connaissent une forte pression
visant à annuler les sanctions, la décision définitive sur la levée des
sanctions dépendra dans une certaine mesure du leadership américain »
déclarait le sénateur John McCain. « Il est important pour moi que nous
continuions à lancer ce message: si vous vous comportez mal, nous continuerons
d'introduire les sanctions ». Nous savons tous ce que les dirigeants
américains entendent par « se comporter mal »…
Le deuxième élément de réponse
se trouve dans la façon dont sont menées les négociations à propos du TTIP,
entre la Commission Européenne et les Etats-Unis, des négociations dont le
moins que l’on puisse dire est qu’elles sont menées dans un climat d’opacité
très supérieur à la moyenne ! Dans un article publié par le quotidien
anglais « The Independant », l’auteur, John Hilary rapporte une
interview qu’il a eue avec le Commissaire au Commerce, Cecilia Malmström, qui succède
à ce poste à Peter Mandelson. Il lui fait remarquer qu’une importante
opposition à ce traité qu’elle négocie à huis clos s’est exprimée sous la forme
de milliers manifestations dans la plupart des pays européens et d’une pétition
signée par 3,25 millions de citoyens européens. Dans sa réponse, Mme Malmström
reconnaît qu’aucun projet de traité n’a jamais rencontré une telle opposition
mais ajoute que, de toute façon, elle « ne tient pas son mandat du peuple
européen ».
John Hilary, dans la
suite de son article explique que Cecilia Malmström, prend ses instructions
auprès de lobbies industriels comme « Business Europe » ou le « European
Services Forum ». Il n’est donc pas étonnant que le TTIP serve les
intérêts des multinationales plutôt que les besoins des populations
européennes.
Cela se traduit en
particulier par la possibilité qui serait donnée aux entreprises
internationales de poursuivre les états pour « pertes de profits ».
Ce serait la généralisation du mécanisme de règlement des litiges entre l'investisseur
et l'Etat (ISDS) par des tribunaux d'arbitrage autorisant les entreprises
privées à poursuivre les gouvernements nationaux pour perte de profits.
« The Independant » rappelait ainsi récemment que le Royaume-Uni
a été contraint de payer huit millions d'euros au groupe Eurotunnel à titre
d'indemnisation des dépenses assumées par ce dernier entre 1999 et 2002 pour
empêcher les migrants d'entrer sur le territoire britannique.
Pour se rendre compte du
danger d’une telle mesure, il suffit de considérer ce qui arrive au Canada qui
a signé l’accord Tafta avec les Etats-Unis, accord dans lequel une telle
disposition est inclue. Entre 1995 et 2005, d’après le Huffington
Post Canadien, le pays a été attaqué douze fois par des multinationales sous
couvert de cette disposition (« Chapitre 11 ») alors qu’entre 2005 et
2015, il l’a été 23 fois. Soixante trois pour cent de ces attaques concernaient
des législations sur la protection de l’environnement et lorsque le
gouvernement a perdu ces arbitrages il a été obligé de modifier ou de supprimer
les législations en cause. Il y a actuellement huit affaires en cours, toutes
intentées par des société américaines pour un montant total de six milliards de
dollars.
Il apparaît donc que la
Commission Européenne prépare la signature d’un traité taillé sur mesure pour
les multinationales (les plus importantes sont américaines) au mépris des
intérêts des citoyens européens. Mais comment s’en étonner après que
Jean-Claude Junker ait déclaré à propos de la Grèce : « Il ne
peut pas y avoir de choix populaire contre les traités européens » !
Pendant ce temps là, les Etats-Unis
ont signé hier, officiellement le TTP, équivalent asiatique du TTIP avec l'Australie, Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la
Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. A
la suite de cette signature, la Maison Blache a publié un communiqué dans
lequel le président Obama se félicitait de la signature d’un accord qui «renforcera
notre leadership à l'étranger et soutiendra les emplois ici aux Etats-Unis»[1].
Doit-on parler de cynisme, de franchise ou de maladresse ? En tout cas, ce
traité doit encore être ratifié par les parlements des différents pays et cela
pourrait poser des problèmes, même avec le sénat américain.
Quand le sort de l’Europe
se joue à huis clos entre une Commission Européenne acquise aux intérêts des
multinationales et les représentants du « Business » américain, sur
le dos des citoyens, il est vraiment pathétique d’entendre nos dirigeants
parler de faire des choses dont ils savent pertinemment que « Bruxelles »
ne les laissera pas les faire. Ont-ils vraiment perdu le sens de la réalité, ou
cherchent-ils maladroitement à cacher une impuissance à laquelle ils se sont
résignés sans combattre ?
[1] Citation de « La Tribune de Genève » http://www.tdg.ch/economie/L-accord-transpacifique-signe-par-12-pays/story/16593899
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire