lundi 12 décembre 2016

La Russie centre du monde ?


Un professeur de Sciences Po aime commencer son cours par cette phrase : « La Russie est le trou noir du monde ». En lisant la presse américaine et la presse européenne qui n’en est souvent qu’une traduction, on pourrait penser, au contraire, que la Russie est devenu le centre du monde.
Elle a pris la main au Moyen Orient où elle est sur le point de redresser la situation de la Syrie, empêchant par là même Daech de prendre Damas comme cela aurait été le cas si le génial ministre des affaires étrangères français avait eu gain de cause en ce qui concerne le président syrien. Elle est devenu le seul pays capable de parler avec tous les protagonistes du drame qui se joue là-bas.
Elle a largement participé à l’accord des pays producteurs de pétrole qui ont accepté de réduire leur production pour soutenir les cours.
Elle met en place un réseau de distribution de gaz[1] qui assurera l’approvisionnement de l’Europe sans être soumis aux caprices ukrainiens.
Voilà pour le concret, et la liste n’est pas exhaustive.
Passons maintenant dans le domaine de l’imaginaire, le domaine du « récit convenu » en provenance principalement des Etats-Unis.
Selon ce « récit convenu », les chaînes d’information russes inondent l’occident de leur propagande et ont fait perdre aux populations le sens du réel, du vrai. Comme chacun sait, l’information des uns est la propagande des autres. Les dirigeants occidentaux qui depuis des dizaines d’années s’ingénient à étendre un voile opaque sur leurs activités sont effectivement très contrariées que quelqu’un ait le front de venir exposer publiquement ce qu’ils cherchent à cacher.
Quelle audace ! Depuis plus de soixante ans, l’Union Européenne, le projet supra national de Jean Monnet et de son équipe, est construite patiemment dans une grande opacité[2] pour aboutir à ce monstre administratif qui se croit maintenant assez fort pour braver la démocratie, et la souveraineté des états, comme en Grèce. Souvenez-vous de ce que disait Jean-Claude Junker : « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Les populations européennes supportent de moins en moins la férule de Bruxelles et le disent dans des référendums, mais c’est « la Russie de Poutine » qui est la cause de cette réaction en raison de la « propagande » de la chaîne de télévision RT et de l’agence d’informations Spoutnik.
Horreur, la main de Vladimir Poutine est derrière la décision du peuple britannique de sortir de l’Union Européenne.
Les Etats-Unis votent en novembre pour élire un nouveau président. Le vainqueur n’est pas le favori des responsables politiques américains, des dirigeants européens et des médias, donc le vote a été faussé. Qui est coupable ? « La Russie de Poutine » évidemment. Le peuple a mal voté comme en Grande Bretagne. Ici ce n’est pas la « propagande » des médias russes qui est responsable, mais l’intervention directe de hackers qui ne peuvent être que russes. Dans un article daté du 12 décembre, le « New York Times » explique que Vladimir Poutine a « posé le pouce sur un plateau de la balance pour faire élire le candidat le plus pro-russe ».
La CIA est certaine que les hackers qui ont piraté le site du parti démocrate et les mails du directeur de la campagne d’Hillary Clinton non seulement sont russes, mais ont reçu leurs ordres directement du président russe. Le FBI, de son côté est moins affirmatif, parlant simplement de « preuves circonstancielles », c’est à dire de celles qui ne tiennent pas devant un tribunal. Il est vrai que le FBI doit tenir compte dans ses enquêtes de la réaction des juges, un problème auquel la CIA ne doit, le plus souvent, pas faire face.
Le grand cirque américain de l’intrusion russe dans les élections américaines a commencé pendant la campagne électorale, un moment où la réflexion est à son niveau le plus bas et où tout argument est bon s’il affaiblit la position de l’adversaire. Ce sont les Démocrates qui ont « invité » la Russie dans la campagne car ils pensaient que cela affaiblirait Donald Trump qu’ils présentaient comme une marionnette de Vladimir Poutine. Argument surprenant, mais encore une fois, dans le feu de l’action on réfléchit moins que d’habitude, si tant est que d’habitude on réfléchisse vraiment.
Mais l’élection est terminée, les Etats-Unis ont un président. Qu’il plaise ou non à « l’establishment », il n’en est pas moins le président. On nous dit que le système électoral compliqué est la raison de la défaite de Madame Clinton qui pourtant avait la majorité des voix de la population. Sans doute, mais le système électoral est en place depuis 1789. Donald Trump n’est pas le premier président élu avec une minorité des voix de la population.
Il serait donc temps de réfléchir aux arguments que l’on utilise pour essayer de décrédibiliser le président élu. Je n’ai évidemment pas d’informations confidentielles me permettant d’opter pour une version ou une autre aussi me contenterai-je de considérer des hypothèses et de me poser des questions.
Quel intérêt la Russie aurait-elle eu à favoriser Donald Trump ? Il a, bien sûr, annoncé son intention de discuter avec la Russie. Mais il a aussi expliqué qu’il voulait le faire à partir d’une position de force et a annoncé une augmentation du budget de la défense. Il a annoncé qu’il voulait cesser d’intervenir militairement dans des pays qui ne menacent pas directement les Etats-Unis. On pense tout de suite au Moyen Orient, mais la Russie a déjà pris la main dans cette région. De plus, le président américain n’est pas tout puissant dans son pays. Les Russes comme le reste du monde savent bien comment le Département de la Défense et les différentes agences de sécurité ont contrecarré les initiatives de Barack Obama en politique étrangère. Et puis Donald Trump était, il est toujours, d’ailleurs, une quantité largement imprévisible, alors qu’Hillary Clinton est bien connue des autorités russes qui ont eu affaire à elle pendant de nombreuses années.
Pour beaucoup d’hommes politiques russes à qui j’ai pu parler, un interlocuteur difficile mais prévisible et professionnel est largement préférable à un interlocuteur imprévisible même s’il peut paraître à première vue plus favorable.
Ces arguments, j’en conviens peuvent ne pas paraître convainquants à certains. Passons donc aux faits concrets. On nous explique que des hackers ont attaqué des systèmes informatiques aux Etats-Unis. Je doute que cela soit une première. Je pense plutôt que dans la plupart des pays, des pirates informatiques attaquent à longueur d’année de nombreuses cibles, dans un but d’espionnage politique, diplomatique ou économique.
Des hackers russes auraient donc réussi à pirater des systèmes informatiques américains ? Ceux-ci ne sont-ils donc pas protégés ? Le piratage a duré dans le temps bien après les premières annonces. Les Etats-Unis ne seraient-t-ils donc pas capables de défendre leurs réseaux ? Comment alors ont-ils pu mettre en place le système de surveillance généralisée dont nous ont parlé Edward Snowden et d’autres « lanceurs d’alertes » ? Les Russes auraient-ils pris le dessus dans ce domaine-là aussi ?
Il est vrai qu’ils font très peur. C’est d’Allemagne que nous viennent maintenant des manifestations d’inquiétude. Les hackers russes, après le « Brexit » et l’élection de Donald Trump  vont-ils perturber les prochaines élections allemandes ?
Tout ceci semble bien difficile à croire. Mais le déchaînement de haine est tel, dans certains camps[3] que beaucoup de politiques et de journalistes sont malheureusement descendus au niveau zéro de la réflexion politique.


[1] Deuxième gazoduc sous la Baltique, nouveau gazoduc vers la Turquie sous la Mer Noire.
[2] Voir l’excellent livre de Christopher Booker et Richard North publié chez « l’Artilleur » avec une préface de Jacques Sapir
[3] Cf. les déclarations du sénateur John McCain qui traite Vladimir Poutine de « voyou » et « d’assassin ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire